Bernard Chardère, un cinéma qui accueille et qui donne
Bernard Chardère, un cinéma qui accueille et qui donne
À mes yeux, Bernard Chardère ne pouvait s’imaginer sans Alice, son épouse. À eux deux, ils incarnaient un amour du cinéma ouvert, curieux, accueillant, sans préjugés, toujours prêt à se remettre en question. La rondeur de Bernard et sa voix apaisante complétaient la petite taille et le verbe exubérant d’Alice.
Je les ai « vus » pour la première fois quand ils m’ont accueilli à l’un de leurs légendaires CICI. Ils nous faisaient venir des quatre coins de France et de l’Europe pour découvrir les trésors cachés du cinéma dans les cinémathèques mêmes qui les préservaient. Heureuse époque où découvrir un film demandait un effort et s’accompagnait de la découverte d’une ville, de la découverte de gens passionnés : grâce à Bernard et à Alice, que d’amitiés indéfectibles se sont forgées, que de destins se sont structurés. Et le tout dans la chaleur de l’accueil, dans les dîners partagés, dans les propos échangés avec passion et sans haine.
Puis, un jour, ces rendez-vous annuels cessèrent. Bernard je le vis moins, mais toujours comme si nous nous étions quittés quelques heures plus tôt. Il ne manquait jamais, en guise de bienvenue, de s’enquérir de la vie et de l’humeur de son interlocuteur. Il était au fond logique que, un jour, rejoignant l’équipe de Positif dont il avait été un des pères fondateurs, je voie en lui une manière de figure paternelle. Je les croisais, Alice et lui, dans les festivals, dans les salons du livre, au téléphone, dans la correspondance. Son écriture large et généreuse, parfaitement lisible, était à son image et à l’image de ce qu’il écrivait. Un style bouillonnant, énergique, parfois labyrinthique, où la prestesse de la formule, le vif éclat de l’analyse, s’accompagnaient de l’enthousiasme toujours inextinguible : on terminait la lecture d’une de ses phrases (qui était volontiers un paragraphe), hors d’haleine mais comblé.
Le cinéma l’intéressait car c’est un art qui réunit et qui réverbère. Grâce à Bernard, l’histoire, la littérature, les formes esthétiques prenaient forme : chez lui tout était en contexte, mais sans pédanterie. Pêle-mêle Renoir, Prévert, le cinéma « du samedi soir », l’Italie, la gastronomie lyonnaise se partageaient. Que de merveilles et de couleurs dans l’appartement lyonnais de la place Gensoul !
Alice partie, je ne revis plus Bernard : comme si, pour moi, ils ne pouvaient être qu’ensemble. Mais je l’entendais. Point de mail ni d’internet pour ce délicieux dinosaure. Le téléphone. Où sa voix amicale s’épanchait avec naturel.
Il est parti dans la douceur. Il me manque.
Christian Viviani