Jean-Pierre Coursodon (1935-2020)

Un éclaireur du cinéma américain

Jean-Pierre Coursodon

Jean-Pierre Coursodon fut l’un des meilleurs connaisseurs et exégètes français du cinéma américain. Normalien, angliciste, il collabora très jeune, à 22 ans, en 1957 à Cinéma, la revue de la fédération française des ciné-clubs où il écrivit durant de longues années. Il se fit connaître très vite comme un des grands spécialistes du burlesque américain. Son Keaton et Compagnie (Seghers, 1964) explore, outre les grands noms du muet, des comédiens moins connus (Ben Turpin, Larry Semon, Mabel Normand). Il consacre deux monographies à Laurel et Hardy et WC Fields (L’Avant-scène 1966, 1968) avant de livrer une somme capitale sur Buster Keaton (L’Herminier, 1986). Entre temps il part pour les États Unis au milieu des années 60 et il y restera jusqu’à sa mort à 86 ans, enseignant longtemps la littérature française en particulier au City College de New-York et à Sarah Lawrence.

Jean-Pierre Coursodon était un tenant de l’auteurisme, une constante de la critique cinématographique française, fondée par Louis Delluc au début des années 20. Pour lui, dans le meilleur des cas, le metteur en scène était l’auteur de ses films mais il ne participa pas pour autant à la politique des auteurs prônée par les critiques de la future Nouvelle Vague qui acceptaient sans réserve et en bloc toute l’œuvre d’un réalisateur démiurge, seul aux commandes. Sa culture, sa connaissance profonde des États Unis et de son industrie cinématographique lui faisait prendre en compte la contribution des scénaristes, des chefs opérateurs, des musiciens et aussi des compagnies de production. C’est ainsi qu’il coordonna un livre sur la Warner en 1992 pour une rétrospective du centre Pompidou.

Sa précision, son sens de l’évaluation, sa réflexion tant esthétique que contenutiste se retrouvent dès Vingt ans de cinéma américain (C.I.B. ,1961), premier ouvrage général co-écrit avec Yves Boisset. Mais c’est avec Bertrand Tavernier qu’il trouva le partenaire idéal pour les monumentales rééditions suivantes et augmentées qui sont devenues des ouvrages de référence : Trente ans de cinéma américain (C.I.B., 1970), Cinquante ans de cinéma américain (Nathan, 1991) et Cent ans de cinéma américain (Institut Lumière et Actes Sud, à paraître) que Tavernier achèvera seul. Aux États Unis il entreprendra un ouvrage semblable et presque aussi conséquent assisté de Pierre Sauvage, travail collectif cette fois dont il rédige la moitié des essais (American directors, Mc Graw and Hill, 1983).

De 1988 à 2014, pendant plus d’un quart de siècle et sur plus de 200 numéros, il sera un correspondant de Positif aux États Unis et contribuera amplement à une meilleure appréciation de la renaissance du cinéma Outre-Atlantique avec d’abord Altman, Woody Allen, Coppola, Eastwood, Forman puis Burton, les Coen, Soderbergh, P.T Anderson dont il analyse les films et avec lesquels il s’entretient. Son approche nuancée des œuvres, sa pénétration face à leur complexité, la richesse de ses connaissances en faisait un éclaireur du cinéma contemporain comme il était par ailleurs un explorateur du passé. En outre, Coursodon mit son talent de traducteur au service de biographies exhaustives, le Hawks de Todd Mc Carthy et le Ford de Joseph Mc Bride (Institut Lumière et Actes Sud). Bref, un critique et historien complet qui manquera.

michel ciment

Michel Ciment