Les Critiques sont-ils ceux que vous croyez ?

Réponses de N.T. Binh

1. De quel milieu social êtes-vous issu(e) ? Venez-vous de Paris ou de province ? 

Milieu socio-culturel privilégié, professions libérales et artistiques dans la famille et l’entourage proche. Paris.

2. Quelle est votre expérience des rapports entre hommes et femmes au sein du milieu de la critique ?

Prédominance masculine dans le milieu de la critique de cinéma, assez conforme à certains stéréotypes de genre : plus d’hommes dans le domaine du cinéma, de l’économie, de la politique et du sport, par exemple ; plus de femmes dans le domaine de la musique, de la danse, de l’opéra et de la mode ; répartition à peu près équilibrée dans le domaine de la littérature et du théâtre. Mais prédominance ne signifie pas exclusivité, et j’ai trouvé les relations professionnelles de tous les supports où j’ai travaillé depuis quarante ans équitables et remarquablement dénuées de préjugés ou d’ostracisme et de comportements sexistes, même quand la parité n’était pas atteinte au sein des équipes (Positif, Zurban, evene.fr, France Culture et les journaux professionnels Le Panorama du médecin, Le Chirurgien-Dentiste de France).

3. Quelle est votre manière de pratiquer (ou pas) la politique des auteurs ?

Je pratique la politique dite des auteurs de manière - je l’espère - informée, nuancée et non exclusive : réalisateurs et réalisatrices sont la plupart du temps considérés comme auteurs principaux des films, mais quasiment jamais comme auteurs uniques, et toujours en prenant en compte les coauteurs, interprètes et collaborateurs artistiques (avec lesquels nous faisons volontiers des entretiens à Positif). Et il est indispensable de reconnaître qu’un auteur ou une autrice peut se tromper ou échouer, sans quoi aucune appréciation critique n’a de sens.

4. Dans quelle mesure vos relations – amicales, professionnelles ou mondaines – avec les cinéastes et les autres critiques peuvent-elles parfois avoir une influence sur votre manière de parler des films ? 

Je m’efforce de limiter sinon d’éviter des relations amicales trop proches avec les cinéastes que j’ai rencontrés professionnellement. Cela dit, une certaine complicité amicale peut se tisser avec des artistes que j’apprécie ou que j’admire (ou réciproquement, qui connaissent ou aiment mon travail) ; et la pratique de l’interview crée avec le temps des liens qui peuvent être renforcés par les rapports dit mondains (animations de séances, festivals, jurys). Il convient alors d’être vigilant pour ne pas se laisser influencer voire aveugler par ces liens occasionnels, car cela peut entraver notre jugement critique, ou conduire paradoxalement à perdre le crédit et le respect que ledit jugement critique inspire à ces cinéastes.

5. Comment votre activité critique cohabite-t-elle avec le fait de faire des films ou le choix de ne pas en faire ?

C’est en devenant critique, et en côtoyant les cinéastes les plus remarquables, que j’ai très vite renoncé à toute velléité de devenir réalisateur de fiction : à quoi bon devenir un “sous-cinéaste” alors qu’en tant que critique, je me considère (immodestement, mais avec plaisir) comme un “sur-spectateur” ? Cependant, ma longue pratique de l’entretien, de même que ma formation dans les films d’entreprise, m’a permis de réaliser des documentaires sur le cinéma dont je n’ai pas à rougir, et que je considère comme une prolongation de mon activité de critique (au même titre qu’enseignant en études cinématographiques, qu’auteur de livres ou que commissaire d’expositions sur le cinéma).

6. Existe-t-il un principe moral que vous vous interdisez de transgresser dans le cadre d’une critique ?

Je m’interdis, dans le cadre d’une critique de film, les attaques personnelles envers les cinéastes ou n’importe quelle personne ayant participé à la réalisation du film dont je parle. Mais il se peut que je me prononce sur ces personnes, leurs opinions, leurs déclarations ou leurs actes, dans un cadre plus journalistique ou polémique, en dehors de la critique d’une œuvre.

7. Identifiez-vous une spécificité de la génération de critiques à laquelle vous appartenez ?

Je m’identifie à une génération plutôt “classique”, formée par le primat de l’écrit et de l’analyse, plutôt qu’à une génération globalement plus jeune, marquée par une volonté de rapidité parfois expéditive et percutante, partiellement induite par l’expression audiovisuelle et les réseaux sociaux. Ainsi, même si j’aime faire de la radio, je préfère les chroniques aux discussions critiques, et je n’utilise les réseaux sociaux que dans un but informatif, jamais pour exprimer un avis critique.