Rencontre avec Mélanie Toubeau
Vidéaste & journaliste cinéma, réalisatrice de la série documentaire CinémaAccessible sur la chaîne YouTube La Manie du cinéma
Face au handicap sensoriel « Très largement, quand on parle d'accessibilité au cinéma, on pense "personne à mobilité réduite", alors que cela va beaucoup plus loin. Dans ma série, je me suis réellement penchée sur les handicaps sensoriels, sachant qu'il y a en réalité énormément de cas très différents, avec d'autres pathologies, comme l'autisme par exemple, qui nécessitent des séances adaptées. »
Voir sans voir « Je suis partie de cette question toute simple : "Comment est-ce qu'on voit des films quand on ne voit pas ?" Plusieurs membres de ma famille sont malvoyants en raison d'une maladie dégénérative et il n'est pas exclu que j'en sois atteinte un jour. C'est quelque chose qui me touche : c'est dur de voir des gens qu'on aime qui ne voient plus et ne peuvent plus regarder les films. Comment peuvent-ils les voir quand même ? C'est compliqué. Et méconnu. Ma série m'a fait découvrir ce qu'était que l'audiodescription. C'est formidable : un nouveau monde à regarder. »
A l'écoute des films « À des séances de sensibilisation, je suggère aux voyants de faire l'expérience d'écouter une audiodescription. À l'occasion d'un festival, je l'ai expérimenté pour L'Amant de Jean-Jacques Annaud, les yeux fermés. C'était génial. On nous raconte une histoire. C'est une autre manière de vivre les histoires que racontent les films. C'est vraiment ce qu'on aime dans le cinéma : pouvoir se projeter dans des imaginaires. Plus les gens connaîtront l'audiodescription, plus il y aura de la demande pour les séances audiodécrites, et plus elles seront bien faites. Aujourd'hui encore, elles manquent parfois de qualité. Comme pour les doublages en français, elles sont parfois faites à la va-vite, par manque de temps, de budget, donc sans véritable travail. C'est un art de bien décrire. »
L'affaire de tous « On connaît tous quelqu'un qui est malvoyant ou malentendant, ou qui a un handicap moteur. Il faut s'intéresser à leur manière de voir les films, pour pouvoir tous voir des films ensemble. C'est mon but en travaillant sur ces sujets. Il y a encore beaucoup d'efforts à faire pour que toutes, tous, tous les cinémas, tous les exploitants, tous les distributeurs, se mobilisent. C'est en en parlant que l'on va se rendre compte que c'est important, autant du point de vue des spectateurs que des professionnels. C'est aussi à eux que ma série de vidéos s'adresse. Il faut fournir un gros effort de pédagogie et de sensibilisation. Se pose aussi un problème de formation pour le développer largement."
Sensibiliser « Le handicap doit intéresser aussi les personnes qui ne sont pas touchées. On ne peut pas fermer les yeux et faire comme si cela ne nous concernait pas. C'est la responsabilité du milieu du cinéma en général de permettre une cinéphilie la plus large possible. Il ne faut pas que ce soit interdit à quiconque. Les récits sont importants parce que par eux, on va être sensible à la question du handicap, même quand on n'a pas forcément d'engagement personnel sur le sujet. Dans ma série, je me suis effacée devant les témoignages, pour laisser la parole à ceux qui vivent cela, pour faire entendre ces personnes qu'on n'écoute pas forcément, qu'on n'a pas envie d'écouter. »
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Contacts et références utiles
Association Retour d'image sur la représentation du handicap.
CineST : portail des films français sous-titrés au cinéma
CNC : accessibilité des œuvres et des salles aux personnes en situation de handicap
« Les Uns et les Autres »: soutien à l’insertion des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel en situation de handicap. Lauréat 2023 : Ciné Sens
Propos recueillis par Nathalie Chifflet