Le premier Café de la Critique
Lors du premier Café de la Critique organisé par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma (SFCC), au musée du Jeu de Paume, des échanges fructueux entre journalistes et attachés de presse ont mis en lumière des problématiques communes dans un contexte dégradé.
La crise couvait, mais la situation s’est dégradée brutalement au cours de la dernière Mostra de Venise dont le tapis rouge était foulé quotidiennement par des stars hollywoodiennes. Effet d’aubaine douché aussitôt par un refus systématique d’accorder des entretiens à la presse. Ce scénario récurrent a conduit à la publication, le 28 août dernier, d’une lettre ouverte signée par une cinquantaine de journalistes, dénonçant ce mépris généralisé.
Quelques semaines plus tard, au festival de San Sebastián, une autre crise éclatait. Face aux caprices de Johnny Depp, un groupe de journalistes, excédés par le mépris dont ils faisaient l’objet, décidait de boycotter la star. Cet acte symbolique a entraîné une série d’initiatives, dont la tribune du Syndicat Français de la Critique de Cinéma publiée le 9 novembre par le journal Le Monde, et relayée même jusqu'aux Etats-Unis par certains attachés de presse de majors.
La situation s’est encore envenimée avec la promotion de films très attendus tels que Juré n°2 (Warner Bros. France), Gladiator II (Paramount Pictures France) et Wicked (Universal Pictures International France). Ces tensions reflètent un bouleversement profond, marqué par la montée en puissance des plateformes de streaming et des réseaux sociaux, où les influenceurs jouent désormais un rôle prioritaire dans les stratégies de promotion.
Autant de sujets pour le premier Café de la Critique initié par Nathalie Chifflet, la présidente du Syndicat français de la Critique de cinéma, qui a réuni au Musée du Jeu de Paume des journalistes et critiques pour un dialogue avec cinq attachés de presse : Monica Donati, Claire Viroulaud, Dany de Seille, Carole Chomand et Olivier Margerie. Un panel diversifié : l'un travaillant pour une major, trois exerçant en indépendants, l’une se consacrant exclusivement aux festivals. Chacun a apporté un éclairage spécifique.
Monica Donati a tenu à souligner qu’elle dispose d’un temps de travail identique pour faire face à la recrudescence des sorties, tout en déplorant un accompagnement limité qui a généralisé l’usage des junkets, ces journées au cours desquelles la presse interviewe les talents à la chaîne, parfois sous forme de tables rondes pour gagner du temps. Olivier Margerie déplore quant à lui “ une optimisation contrainte” et pointe le “rôle des agents et l’interférence des marques auprès de leurs ambassadeurs”, en précisant que “certaines stars imposent leur community manager”. Selon Dany de Seille, “l’accès aux talents s’est compliqué et a accentué la difficulté de monter des jurys de festivals, en raison d’un manque de maîtrise et de l’engrenage du marketing”. Elle note par ailleurs que “la pression des distributeurs s’est accentuée et que tout s’est accéléré depuis les confinements”. Pour Claire Viroulaud, “la nature des films conditionne une promotion à géométrie variable”.
Au sein de ce meilleur des mondes virtuel, la montée en puissance des influenceurs a changé la donne pour tout le monde, même si Dany de Seille souligne l’importance essentielle de la PQR. Monica Donati tient toutefois à recentrer le débat en précisant que “les distributeurs ont leurs bêtes noires, les attachés de presse ont de moins en moins de pouvoir et le territoire français compte peu aux yeux des Américains. En règle générale, les réalisateurs sont plus attentifs à la presse que les distributeurs.” Claire Viroulaud souligne quant à elle que les attachés de presse ne sont toutefois pas tous logés à la même enseigne : “Certains gèrent les demandes, d’autres les sollicitent. L’objectif est d’établir un pont, ce qui constitue un travail au long cours.” Son constat est toutefois pragmatique : “L’importance des étoiles d’Allociné est cruciale et on compte systématiquement les adjectifs positifs.” Olivier Margerie décrit une situation d’urgence : “On dispose de trente-six heures pour faire la différence, mais on doit satisfaire les besoins par priorité de délais, quitte à montrer parfois des morceaux de films inachevés plutôt qu’aucune image.” Dany de Seille note que “les plateformes de streaming ont accéléré l’évolution des campagnes de promotion” et déplore “un effritement du respect mutuel”. Plus généralement, l’abondance des films (une centaine en décembre !) et l’engagement des exploitants à les maintenir à l’affiche pendant plusieurs semaines pénalise les nouveautés qui n’ont même plus le temps de s’installer. “Réagir est bénéfique pour tout le monde”, souligne Monica Donati. Résultat concret : le Clap qui réunit la grande majorité des attachés de presse de cinéma partage les préoccupations du SFCC.
Jean-Philippe Guerand