Rencontre avec Isabelle Dumas-Richard
Professeure de Lettres et cinéma et formatrice académique cinéma dans l’académie de Lyon
A quelles occasions travaillez-vous avec des critiques de cinéma dans le cadre de l'enseignement en option cinéma ou dans votre activité de formatrice Cinéma à l'académie ?
En tant que formatrice académique du dispositif Collège au cinéma, le travail des critiques de cinéma me sert davantage pour préparer ma formation. C’est un support indispensable dans le cadre des échanges avec les enseignants, de façon à avoir des pistes d’exploitation pour l’analyse filmique et la réflexion sur les films.
En tant qu’enseignante de cinéma, il arrive fréquemment que les élèves travaillent à partir d’un corpus de critiques autour d’un film, assistent à des rencontres avec des intervenants critiques de cinéma qui présentent des films, comme au festival Lumière ou aux Écrans juniors à Cannes. Dans le cadre du festival du court-métrage de Clermont, on étudie les critiques de la sélection du concours de la jeune critique et les élèves réalisent leur propre critique.
Mais travailler la critique ou faire venir des intervenants critiques de cinéma ne se passe pas qu’en cours de cinéma. En Lettres, au lycée, la critique est inscrite au programme dans les récits d’appropriation, au collège dans les séquences autour de la presse et des médias. On peut tout à fait mener des projets en Français en lien avec des dispositifs, comme le prix Jean Renoir des lycéens auquel nous avons participé l’an passé. Les lycéens ont travaillé sept films, étudié des critiques, rencontré des professionnels et réalisé leur propre critique. Dans le cadre des dispositifs Collège au cinéma ou Lycéens et Apprentis au cinéma, j’intègre les films au cœur de mes séquences de Lettres comme une œuvre intégrale à part entière et la séquence se construit autour du film et de textes littéraires complémentaires.
Pensez-vous que les critiques pourraient mieux s'intégrer à ces dispositifs ? et que cela pourrait être utile à tous ?
Cela me paraît indispensable. Certains dispositifs proposent la possibilité d’un intervenant mais les enseignants ne s’en emparent pas toujours par manque de temps ou par crainte de ne pas être capable de ré-exploiter les interventions de professionnels de façon efficace ensuite. Or, les critiques de cinéma, comme les critiques littéraires d’ailleurs, apportent une véritable réflexion sur l’analyse filmique et le regard critique d’une œuvre. C’est aussi un atout pour améliorer l’expression écrite du fait de la construction argumentative d’une critique, de l’emploi des figures de style et de la bonne maîtrise de la langue française. Rencontrer des professionnels, que ce soit au sein des établissements ou dans le cadre de master class, de festivals, au sein des salles de cinéma, permet une réelle interactivité avec la classe, les temps d’échanges sont toujours très riches et plus concrets pour les collégiens et les lycéens. La parole d’un professionnel apporte une crédibilité liée à son expérience du métier que n’a pas l’enseignant. Le fait de pouvoir collaborer avec des professionnels est un atout supplémentaire qui vient enrichir le travail fait en classe. Je fais partie de l’équipe du Festival National du Film Scolaire qui commence à prendre de l’ampleur sur tout le territoire. Dans les interventions organisées en juin, les master-classes sont une des priorités de notre directeur Sylvain Locos, comme le fait d’avoir dans le jury du festival des journalistes critiques de cinéma pour analyser la sélection des films réalisés par les élèves. Et c’est bien évidemment parce que les élèves auront été formés à la critique qu’ils pourront à leur tour être capables de mettre en pratique ce qu’ils ont appris en réalisant leur propre court-métrage.
Estimez-vous que la demande du nouveau Ministre aux enseignants de suivre leurs formations hors temps scolaire est une menace sur la formation des enseignants au cinéma ?
Selon moi, c’est une aberration et cela va considérablement nuire à la formation des enseignants mais aussi à l’ensemble des intervenants puisque ces derniers n’auront pas la possibilité d’assurer l’intégralité des formations sur un temps aussi restreint. Demande-t-on à des entreprises ou aux autres fonctionnaires de se former en dehors de leur temps de travail ou sur leurs vacances ? Notre gouvernement a-t-il si peu de considération pour les enseignants pour estimer que les temps de repos et de vacances ne sont pas une nécessité ? Et que ces temps, qui bien souvent sont déjà réduits entre les corrections et les préparations de cours, doivent encore être impactés par du travail supplémentaire lié à la formation ?
À terme, on peut considérer que cela entraînera non seulement une dégradation du temps de travail mais aussi un appauvrissement qualitatif du métier et de l’évolution de carrière des enseignants. Sans oublier que cela aura également un impact sur les dispositifs cinéma et les intervenants dont le temps de travail sera compacté, réduit, voire supprimé pour certains car il sera impossible de tout mettre en place au même moment. Il faut vraiment qu’enseignants, formateurs et intervenants s’unissent pour réagir et ne pas laisser faire cela.
Propos recueillis par Valérie Ganne