Mon cher papier !
par Philippe Rouyer
Que la situation soit économiquement tendue pour nos revues de cinéma n’est pas une nouveauté. Avant le Covid déjà, c’était compliqué. On se souvient, par exemple, qu’un groupe de financiers cinéphiles avaient dû se regrouper pour permettre aux Cahiers du cinéma de survivre. Puis il y a eu les confinements et la fermeture des salles de cinéma. Avec, à leur réouverture, une hémorragie des spectateurs qui avaient entre-temps pris l’habitude des plateformes et de leurs canapés. S’en est suivi inévitablement, une chute des ventes des revues de cinéma, qui avaient pourtant fait l’effort de continuer à paraître durant la pandémie. La guerre en Ukraine assortie d’une hausse massive du coût du papier (estimée à une augmentation de 45% de leur coût total de fabrication par certains titres), a enfoncé ces revues dans une impasse. Car, s’il leur était impossible de répercuter cette hausse sur le prix de vente au numéro, les autres solutions consistant à réduire la pagination ou à utiliser un papier de moindre qualité n’étaient pas davantage viables sur le long terme.
Face à cette situation exceptionnelle, les revues de cinéma indépendantes ont su adopter une attitude unique dans l’histoire de la critique en France : à l’instigation d’Eugénie Filho, directrice de la publication de Revus & Corrigés et d’Emmanuelle Spadacenta, rédactrice en chef de CinémaTeaser, elles se sont unies pour porter leur appel d’une seule voix. C’est donc un groupe composé des “sœurs ennemies” Positif et Les Cahiers du cinéma, mais aussi des Fiches du cinéma, Mad Movies, French Mania, Rockyrama, Répliques, La Septième Obsession, SoFilm, Sorociné ainsi, bien sûr, que Revus & Corrigés et CinémaTeaser, qui a plaidé sa cause auprès du CNC et du Ministère de la culture. À la suite de demandes répétées, soutenues et appuyées par notre Syndicat, Eugénie Filho, Julie Lethipu et Emmanuelle Spadacenta, représentantes de ce regroupement ont finalement pu rencontrer le 21 novembre Lionel Bertinet, Rafaële Garcia et Laurent Vennier du CNC. À défaut de pouvoir y répondre directement à cause de sa réglementation, le CNC a relayé cet appel des revues au Ministère de la culture qui a assuré avoir en préparation une aide exceptionnelle aux journaux papiers pour compenser la hausse des coûts du papier. Une aide à laquelle, il nous l’a été promis, les revues de cinéma seraient éligibles. Après de longs mois d’attente, Le Journal Officiel du 3 mai a enfin publié un décret “instituant une aide exceptionnelle visant à compenser la hausse de certains coûts de production des publications imprimées des entreprises éditrices de presse particulièrement affectées par les conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine”. Restait encore à le mettre en application. Ce qui a été fait depuis peu sur le site du Ministère de la Culture, à l’adresse suivante :
Souhaitons que les promesses seront tenues et que nos chères revues bénéficieront de ce soutien exceptionnel. Entre-temps, les publications Awotele (la revue ciné panafricaine) et Revus & Corrigésont cessé de paraître. Et d’autres pourraient connaître le même destin funeste.
Philippe Rouyer