Les Critiques sont-ils ceux que vous croyez ?

Réponses de Yannick Vély

1. De quel milieu social êtes-vous issu(e) ? Venez-vous de Paris ou de province ?

Je suis issu de la classe moyenne - mes deux parents travaillaient aux impôts - mais avec un accès très fort et privilégié à la culture. Ma grand-mère était la première directrice d’école du Puy-de-Dôme, j’avais un oncle qui était le premier vendeur de télévision d’Auvergne... De province donc, mais il y a autant de provinces que de fromages.


2. Quelle est votre expérience des rapports entre hommes et femmes au sein du milieu de la critique ?


J’ai l’impression que longtemps les spectatrices (et d’ailleurs les réalisatrices aussi) ont été cantonnées a priori à un cinéma très codifié : pour faire court, aux comédies romantiques et aux comédies musicales. Si bien que les critiques femmes devaient prouver qu’elles pouvaient écrire sur tous les films, alors qu’un homme pouvait vouer un culte aux mauvais films de Jean-Claude Van Damme sans que cela choque personne. En projections presse, même aujourd’hui, il y a plus de chauves que de femmes, même si j’ai l’impression que ça bouge un peu.

3. Quelle est votre manière de pratiquer (ou pas) la politique des auteurs ?

Je suis un cinéphile qui fait des listes de manière obsessionnelle. Donc j’essaie de voir tous les films, téléfilms, courts, clips... des réalisateurs dont j’admire le travail. Comme je souffre du syndrome de l’imposteur, c’est ma manière de lutter contre. Je crois que c’est extrêmement important pour moi, presque une exigence morale, que de bien connaître l’œuvre d’un cinéaste avant de parler longuement dessus et/ou de le rencontrer.

4. Dans quelle mesure vos relations – amicales, professionnelles ou mondaines – avec les cinéastes et les autres critiques peuvent-elles parfois avoir une influence sur votre manière de parler des films ?

J’ai des amis qui sont devenus réalisateurs, mais aucun cinéaste “établi” n’est devenu un ami, je les vois plus comme des correspondants lointains qui me donnent de leurs nouvelles. Même si je suis devenu journaliste ciné pour pouvoir rencontrer les gens que j’admirais, cela ne m’empêche pas de rester “critique” avec les œuvres. Connaître leur vie, parfois éprouver pour eux une réelle sympathie permet de mieux comprendre leurs films et surtout “m’oblige” à ne pas les juger brutalement. Par contre, j’ai beaucoup trop d’ego pour être influencé par les avis de mes collègues et je suis assez hermétique à l’emphase et aux anathèmes. J’écris pour mes lecteurs, ou plutôt j’écris pour les films, pour donner envie de les voir.

5. Comment votre activité critique cohabite-t-elle avec le fait de faire des films ou le choix de ne pas en faire ?

Je compte sur les progrès de l’IA pour mes vieux jours car je n’ai ni la persévérance ni la patience pour partir dans un tel voyage au long cours. Et sans doute pas le talent non plus. J’avais théorisé la chose avec Maxime Chattam, fan comme moi de jeu de rôle. Il y avait les maîtres de jeu et les joueurs, ceux qui aiment raconter des histoires, imaginer des univers et ceux qui aiment qu’on leur raconte une histoire, qui recherchent la sensation unique de passer de l’autre côté du miroir. Lui, le maître de jeu, est devenu écrivain. Le joueur que j’étais est resté celui qui essaie de convaincre les gens qu’il faut absolument qu’on leur raconte cette histoire, que ça valait le coup. Bon, après on a discuté du fait qu’on avait jamais fait mieux que la campagne des Masques de Nyarlathotep.

6. Existe-t-il un principe moral que vous vous interdisez de transgresser dans le cadre d’une critique ?

La moquerie facile, la méchanceté gratuite, les jugements a priori.

7. Identifiez-vous une spécificité de la génération de critiques à laquelle vous appartenez ?

Ma génération est celle des vidéoclubs et des bonus DVD, donc de la dissection plus que de l’analyse. De fait, j’ai l’impression que nous avons glorifié les “artisans bâtisseurs” comme Peter Jackson, James Cameron ou Ridley Scott au détriment des penseurs et des esthètes.