Les Critiques sont-ils ceux que vous croyez ?

Réponses de Murielle Joudet

1. De quel milieu social êtes-vous issu(e) ? Venez-vous de Paris ou de province ?

Banlieue parisienne, classe moyenne

2. Quelle est votre expérience des rapports entre hommes et femmes au sein du milieu de la critique ?

Je n'ai jamais perçu le milieu à travers ce découpage, beaucoup plus à travers celui-ci qui me paraît tellement plus structurant : salariés / pigistes précaires. Je ne me suis jamais sentie plus proche d'une femme parce qu'elle est femme, mais parce qu'on parle la même langue lorsqu'il s'agit de cinéma. J'ai l'impression que cette idée d'une vision féminine et d’une vision masculine du cinéma, proprement irréconciliables voire antagonistes, est une vraie construction de l'époque, nourrie par des textes et des films qui tentent de la faire exister et parviennent à l'imposer alors que la réalité est beaucoup plus subtile. Sinon, il y a toujours eu des femmes autour de moi dans ce milieu même si j'ai appris le métier au milieu d'hommes. Des hommes et des femmes m'ont aidée, soutenue et proposé du travail au cours de mon parcours. Les deux souvenirs de choses vraiment malveillantes qui me reviennent sont le fait de critiques femmes.

3. Quelle est votre manière de pratiquer (ou pas) la politique des auteurs ?

Je ne sais pas si je "pratique" la politique des auteurs mais il me paraît normal d'estimer que c'est un réalisateur qui signe son film, jusqu'ici on n'a pas trouvé mieux. Mais plus le temps avance plus le point de vue industriel sur le cinéma m'intéresse. Pour moi il n'y a pas d'auteurs sans un rapport de force fertile avec une industrie. C'est à mon avis ce que le cinéma hollywoodien a perdu. D'où deux syndromes: celui de la "carte blanche", du cinéaste en roue libre parce que sans interlocuteur ; ou, à l'inverse, celui du cinéaste complètement absorbé par l'industrie mais qui se raconte qu'il est libre. Aujourd'hui je regarde davantage ce rapport de forces mais je crois qu'il est consubstantiel à la définition de "politique des auteurs".

4. Dans quelle mesure vos relations – amicales, professionnelles ou mondaines – avec les cinéastes et les autres critiques peuvent-elles parfois avoir une influence sur votre manière de parler des films ?

Pour moi la critique est une conversation ininterrompue avec une poignée de personnes qui m'ont toutes influencée, fait découvrir des films, appris des choses. L'admiration et l'imitation sont deux moteurs importants, surtout quand on commence.

5. Comment votre activité critique cohabite-t-elle avec le fait de faire des films ou le choix de ne pas en faire ?

Idéalement, être critique ce n'est pas faire mais refaire un film, l'organiser et le monter autrement. Sinon j'ai l'impression d'être arrivée à ce métier par une sorte de peur du réel qui m'a repliée sur la salle et sur le texte - écrire c'est vraiment le contraire de gérer la vie sur un tournage. En plus, j'ai l'impression que les qualités qu'on demande à un critique le rendent totalement inaptes au métier de cinéaste. C'est comme quand on prend conscience du mécanisme de la marche et qu'on découpe le mouvement : ça peut nous empêcher de marcher.

6. Existe-t-il un principe moral que vous vous interdisez de transgresser dans le cadre d’une critique ?

Pas de copinage. Ne pas arrondir les angles d'un papier au prétexte que le cinéaste est français. Ne pas faire croire aux gens qu'il y a cinq bons films par semaine.

7. Identifiez-vous une spécificité de la génération de critiques à laquelle vous appartenez ?

La crise de la presse écrite.