Les Critiques sont-ils ceux que vous croyez ?
Réponses de Occitane Lacurie
1. De quel milieu social êtes-vous issu(e) ? Venez-vous de Paris ou de province ?
Ma mère est professeure de français et racisée, mon père n’a pas le baccalauréat et est issu de la classe ouvrière. Je viens de Salon-de-Provence.
2. Quelle est votre expérience des rapports entre hommes et femmes au sein du milieu de la critique ?
Mon expérience – en particulier ces derniers mois – s’est révélée très négative. Non pas à l’intérieur de ma propre rédaction mais relativement à des hommes venus d’autres rédactions et aux tentatives d’intimidation dont j’ai fait l’objet de leur part, du fait de mes prises de position féministes.
3. Quelle est votre manière de pratiquer (ou pas) la politique des auteurs ?
Je ne la pratique pas a priori. Je m’intéresse aux images, à la culture visuelle et à ce que les films nous permettent de penser de l’histoire de la culture et des idées. Les auteur·ices sont tout au plus des indices pour situer le film dans un réseau de sens et de facteurs socio-historiques. À ce titre, je me sens proche du «marxisme vivant» qu’opposait Raymond Borde à l’auteurisme clos sur lui-même – position qui faisait une place à l’auteur.ice, sans lui laisser occulter le reste.
4. Dans quelle mesure vos relations – amicales, professionnelles ou mondaines – avec les cinéastes et les autres critiques peuvent-elles parfois avoir une influence sur votre manière de parler des films ?
Sans doute oui, il serait illusoire de prétendre le contraire. Je ne suis pas amie avec beaucoup de cinéastes reconnus, davantage de documentaristes de mon âge et il me semble que j’ai construit, au fil des années, un groupe avec lequel j’aime travailler et penser en tant que chercheuse et que critique. Concernant les films dont je parle au sein de formats de critique parlée, je ne me pose pas la question – ce sont davantage des films d’exploitation.
5. Comment votre activité critique cohabite-t-elle avec le fait de faire des films ou le choix de ne pas en faire ?
Hormis le travail en revue de cinéma, je suis chercheuse et vidéaste. Ma pratique vidéographique, s’inscrivant dans le genre du found footage et du remontage, se situe à l’intersection de ces deux activités dans le sens où elle a pour fonction de penser les films sur la table de montage.
6. Existe-t-il un principe moral que vous vous interdisez de transgresser dans le cadre d’une critique ?
Si j’ai des principes, ils ne sont pas moraux mais politiques : faire de la critique, c’est constituer une archive de la réception des films et de la conversation qu’ils ont suscitée à une époque donnée dans l’espace public. Il me paraît donc important d’adopter cette conscience historique de la parole que l’on porte en écrivant.
7. Identifiez-vous une spécificité de la génération de critiques à laquelle vous appartenez ?
Il me semble que celle-ci est coupée en deux : entre imitation du groupe de référence (la génération du dessus), tenue qu’elle est par la pénurie des places et des possibilités de vivre d’un métier culturel ; et rejet (conscient ou non) de l’histoire de la critique, adossé à un désir de la pratiquer spontanément, sur les plateformes (Sens Critique, Letterboxd, Twitter, Instagram…) sans sentir peser sur elle le surmoi des générations antérieures – mais en actant, de fait, la nature amateure et gratuite de cette pratique.