Les Critiques sont-ils ceux que vous croyez ?

Réponses de Pierre Murat

1. De quel milieu social êtes-vous issu(e) ? Venez-vous de Paris ou de province ?

D’origine russe par ma mère… Peut-être est-ce pour cette raison que je me suis toujours senti un peu “à côté”. À part. Proche de Tchekhov et de Tarkovski... Etrangeté accentuée par le métier de mon père : il était militaire, mais travaillait au SDECE. C’était un agent secret !...

2. Quelle est votre expérience des rapports entre hommes et femmes au sein du milieu de la critique ?

Mises à part quelques brèves périodes, je n’ai travaillé que sous la direction de femmes : Claude-Marie Tremois à Télérama, Danièle Heymann pour L’Année du cinéma, chez Calmann-Lévy. Quand un article ne lui plaisait pas, Danièle devenait de plus en plus gracieuse : «Génial, ton papier, mon petit Pierre ! Mais, tu vois, il faudrait que tu intervertisses les paragraphes 2 et 4. Que tu supprimes ton introduction. Et que tu coupes les trois premières lignes de ta conclusion. Le reste est top ! »... Avec ceux qu’elle appréciait, et j’en faisais partie, Claude-Marie Trémois s’exprimait, elle, dans un style plus imagé : «Bougre de petit con ! Comment osez-vous me présenter un torchon pareil ? Recommencez- moi tout ça pour demain !» … L’exquise politesse de l’une me rassurait. La fausse brutalité de l’autre m’éveillait. J’en bavais, mais, ces deux femmes m’ont appris, à leur façon, le peu que je sais. Je leur dois tout...

Comme critique, je n’ai jamais – c’eût été indigne et sot – aimé ou détesté un film en fonction du sexe de son auteur (autrice). Ce qui m’a permis, au tout début, de défendre, à la fois, les derniers films du grand Bob Aldrich, réputés misogynes, voire fachos, et les premiers Yannick Bellon (Quelque part, quelqu’un, La Femme de Jean, Jamais plus toujours), si originaux et courageux. Ce qui me permet, aujourd’hui, face au délire suscité par Justine Triet, de suggérer qu’Anatomie d’une chute - comme certaines réussites “qualité France” des années 1950 – repose sur son scénario et non sur sa mise en scène…

3. Quelle est votre manière de pratiquer (ou pas) la politique des auteurs ?

À Télérama, Claude-Marie Tremois énonçait doctement : «Un Truffaut médiocre, s’il existe, vaut forcément mieux qu’un…» Suivait une liste de solides techniciens qui, à ses yeux, ne méritaient pas d’accéder au statut d’“auteur”… Des années plus tard, lorsqu’à mon tour, je dirigeais la rubrique, tous mes jeunes collaborateurs hurlaient, évidemment, contre cette théorie surannée, dépassée et ringarde…

Un jour, cependant, tandis que j’émettais des réserves sur Paycheck (2003), le dernier né d’un réalisateur hyper- mode, à l’époque, j’eus la surprise de voir devenir blanc-vert le critique le plus acharné à fustiger l’ex-“politique des auteurs”. «Pierre, tu parles de John Woo !», réussit-il à balbutier « Tourner un film médiocre, lui ? Impossible ! »...

À chacun ses auteurs, donc…

4. Dans quelle mesure vos relations – amicales, professionnelles ou mondaines – avec les cinéastes et les autres critiques peuvent-elles parfois avoir une influence sur votre manière de parler des films ?

Les relations mondaines avec les “professionnels de la profession” sont forcément dangereuses. Agréables parfois, délicates toujours... Mais le plus grand péril que doit affronter le critique, me semble-t-il, hier comme aujourd’hui (aujourd’hui un peu plus qu’hier ?), c’est la prudence. Le conformisme. La bienséance. La bien-pensance. Vouloir à toute force plaire à ses pairs et à l’air du temps.

5. Comment votre activité critique cohabite-t-elle avec le fait de faire des films ou le choix de ne pas en faire ?

Aucun rapport. Je n’ai jamais cherché à devenir réalisateur. Les images des autres ont suffi à me combler – ou à m’exaspérer, c’est selon…

6. Existe-t-il un principe moral que vous vous interdisez de transgresser dans le cadre d’une critique ?

Aucun. La morale, oui. Le moralisme, non.

7. Identifiez-vous une spécificité de la génération de critiques à laquelle vous appartenez ?

La première, sans doute, à avoir su vraie la formule de François Truffaut : « Il faut se faire à l’idée que nous serons jugés par des gens qui n’ont jamais vu un film de Murnau…»