Les Critiques sont-ils ceux que vous croyez ?

Réponses de Marie Sauvion

1. De quel milieu social êtes-vous issu(e) ? Venez-vous de Paris ou de province ?

Je suis née à Paris, comme mes parents. Contrairement à eux, qui étaient des transfuges de classe, j’ai grandi dans le confort, j’ai pu passer mon Bac et avoir accès aux études supérieures.

2. Quelle est votre expérience des rapports entre hommes et femmes au sein du milieu de la critique ?

J’ai débuté au service culture d’un quotidien, Le Parisien, où la critique tenait une place mineure et était assurée par trois hommes - il y a trente ans, ça n’interrogeait personne. Après des années, j’ai eu accès au cinéma par la petite porte : celle des films qui n’intéressaient pas mes confrères. Le milieu, à l’époque, était essentiellement masculin, c’était comme ça. Quand j’ai démarré au Cercle, en mars 2005, le plateau comptait systématiquement deux chroniqueuses pour quatre chroniqueurs et je pense qu’on m’a choisie aussi (mais pas seulement) parce qu’il fallait des filles et qu’on n’était pas nombreuses. Je partais de quasi zéro, j’ai appris en nageant, et je me souviens d’un critique établi, d’un certain âge, qui levait les yeux au ciel chaque fois que je parlais. D’autres ont été plus généreux, plus patients aussi, et m’ont laissé le temps de trouver ma voix. Mais plus que de la misogynie, à laquelle j’étais sans doute habituée, j’ai parfois ressenti chez des confrères un mépris intellectuel lié à ma formation tardive, ni académique ni “sérieuse”, et au désordre de mes goûts.

3. Quelle est votre manière de pratiquer (ou pas) la politique des auteurs ?

Je n’écris ni pour l’Histoire, ni pour dialoguer avec des cinéastes, j’écris pour des lecteurs, aujourd’hui ceux de Télérama, qui attendent une critique engagée, sincère, sur un film précis. La politique des auteurs, dans ma pratique, consiste à essayer de considérer le film au sein d’une œuvre, si tant est qu’elle existe, tout en me refusant absolument à devenir gardienne de chapelle.

4. Dans quelle mesure vos relations – amicales, professionnelles ou mondaines – avec les cinéastes et les autres critiques peuvent-elles parfois avoir une influence sur votre manière de parler des films ?

Je fuis les mondanités. Il m’a toujours semblé impossible de se lier avec des cinéastes ou même des acteurs et d’écrire ensuite sereinement sur leur travail - j’ai un cœur. Je n’ai qu’une amie dans ce métier, parce qu’elle était critique avant de devenir réalisatrice. Quand j’interviewe un auteur, je laisse si possible à un.e camarade le soin de critiquer son film. Pour ce qui est des autres critiques, parmi lesquels j’ai pas mal de copains et aussi de vrais amis, je trouve dans leur fréquentation un enrichissement inestimable, la chance de débattre, de s’engueuler, de se déplacer, de penser contre soi-même.

5. Comment votre activité critique cohabite-t-elle avec le fait de faire des films ou le choix de ne pas en faire ?

Je n’ai jamais envisagé de carrière dans le cinéma et je fais exactement le métier que j’espérais. Ça ne m’a pas empêchée de co-signer un court métrage, une aventure dont je garde un excellent souvenir et qui m’a beaucoup appris (et m’a confortée dans la certitude que c’est difficile de faire un film).

6. Existe-t-il un principe moral que vous vous interdisez de transgresser dans le cadre d’une critique ?

Regarder les films en entier.

7. Identifiez-vous une spécificité de la génération de critiques à laquelle vous appartenez ?

Ma génération accueille le mouvement #Metoo parfois à contre-cœur, parfois avec soulagement et reconnaissance. Elle peut choisir de l’ignorer ou, au contraire, de revisiter sa petite cinémathèque intime. C’est une passionnante révolution politique et esthétique.