Les Critiques sont-ils ceux que vous croyez ?
Réponses de Emmanuelle Spadacenta
1. De quel milieu social êtes-vous issu(e) ? Venez-vous de Paris ou de province ?
De la classe moyenne. Mes parents étaient employés de banque. Je suis née à Saint-Cloud dans les Hauts-de-Seine mais quand j’ai eu 3 ans, mes parents, engagés par une clause de mobilité au sein de leur entreprise, ont déménagé en province. Nous ne sommes revenus en Région Parisienne que neuf ans après.
2. Quelle est votre expérience des rapports entre hommes et femmes au sein du milieu de la critique ?
J’ai l’impression que selon le type de cinéma dont on parle, il y a une chasse gardée masculine, notamment dans la critique de ma génération. Une erreur d’analyse ou d’information chez un critique masculin ne sera toujours considérée que comme une erreur. Chez une consœur, c’est jugé comme un aveu d’ignorance. Les femmes dans la critique n’ont pas le droit à l’erreur. Elles ne prennent la parole que lorsqu’elles ont vraiment quelque chose d’intéressant ou de nouveau à dire. Une certaine critique masculine préfère monopoliser la parole quitte à répéter toujours la même chose sur les mêmes auteurs. Je déplore encore que certains présentateurs de podcast n’invitent que des hommes autour de leur table. Et en même temps, les femmes sont souvent sollicitées dans une sorte d’urgence déontologique, parce qu’on a dit qu’il fallait de la parité. Alors ça nous appelle pour des sujets qui ne sont pas les nôtres et ça panique si on dit non.
3. Quelle est votre manière de pratiquer (ou pas) la politique des auteurs ?
Maladroite, j’imagine. D’un côté, dans le magazine, nous défendons le fait que le cinéma n’est pas l’œuvre d’un seul homme ou d’une seule femme - le ou la metteur en scène - puisque nous rencontrons énormément de directeurs et directrices de la photographie et de compositeurs. Et en même temps, au moment d’établir un sommaire, je vais me concentrer sur le film de tel ou telle auteur/autrice que j’adore, poussée par une foi aveugle en son travail. Est-ce que je suis à 100% honnête dans mon avis selon le ou la cinéaste ? J’espère, mais plus jeune, j’ai réussi à me mentir à moi-même, alors je me méfie.
4. Dans quelle mesure vos relations – amicales, professionnelles ou mondaines – avec les cinéastes et les autres critiques peuvent-elles parfois avoir une influence sur votre manière de parler des films ?
J’ai peu d’amis de l’autre côté de la barrière. Trois ou quatre maximum, avec qui une relation s’est nouée à partir de l’admiration que j’avais pour leur travail. J’essaie d’être honnête, de m’écarter de toute activité éditoriale quand vient le moment pour leur film de sortir. Mais quand je parle de leur film, suis-je totalement objective ou est-ce que je prends en compte leur énergie, leur courage, leurs intentions intimes, bref tout ce qui ne se voit pas à l’écran et ne devrait pas franchement rentrer en ligne de compte ? Peut-être que je le fais et que je déploie un enthousiasme plus personnel que professionnel. Mais je les trouve doués et notre amitié repose en grande partie sur notre conception commune du cinéma.
5. Comment votre activité critique cohabite-t-elle avec le fait de faire des films ou le choix de ne pas en faire ?
J’ai essayé de réaliser des courts-métrages et d’écrire des scénarios. Je ne brille pas en la matière. J’ai une admiration sans borne pour ceux qui savent le faire et sont doués pour ça. Et beaucoup de colère envers ceux qui ne voient pas qu’ils n’en sont pas capables et prennent de la place avec beaucoup de médiocrité. Je ne veux pas faire de cinéma. Si un jour on me donnait la chance de distribuer des films, pour soutenir des réalisateurs et des réalisatrices ou pouvoir faire connaître des films étrangers au public français, j’adorerais ça. Mais je laisse la fabrication des films à ceux qui savent le faire. Mon truc, c’est la transmission, pas la confection.
6. Existe-t-il un principe moral que vous vous interdisez de transgresser dans le cadre d’une critique ?
Je n’insulte personne. Aucune attaque personnelle. Ne jamais dire que ceux qui aiment tel ou tel film ou ceux qui n’aiment pas tel ou tel film sont des crétins. Essayer de respecter le fait qu’un film, c’est dur à faire et que, même si je trouve ça raté, quelqu’un est allé au bout de son projet.
7. Identifiez-vous une spécificité de la génération de critiques à laquelle vous appartenez ?
La génération de critiques à laquelle j’appartiens reproduit beaucoup des défauts de la génération qu’elle ne cesse d’attaquer vertement. Je ne suis pas sûre que ma génération regarde le cinéma qui se fait aujourd’hui avec le recul, la curiosité et l’envie dont elle accuse la génération d’avant d’avoir cruellement manqué. En gros, quand je vois un critique tancer de vieux critiques pour avoir dénigré un Carpenter, un Spielberg ou un James Cameron, je regarde ce qu’il aime aujourd’hui, ce qu’il défend et généralement, le constat est sans appel : pas grand-chose. Beaucoup de critiques de ma génération accusent le cinéma de leur époque d’être vide, soit exactement ce qu’ils reprochent aux anciens d’avoir fait avec le cinéma qui leur était contemporain.