Les Critiques sont-ils ceux que vous croyez ?
Réponses de Perrine Quennesson
1. De quel milieu social êtes-vous issu(e) ? Venez-vous de Paris ou de province ?
Je viens de province, de Picardie, Beauvais très exactement. Je viens de la classe moyenne. Ma mère travaillait dans une entreprise de bâtiment en tant que DAF et mon père chez Nestlé, en tant qu’ingénieur agroalimentaire. Ils n’ont rien à voir avec le cinéma et n’ont aucune appétence particulière pour cet art. Ils font partie de ce que l’on appelle les “spectateurs occasionnels”.
2. Quelle est votre expérience des rapports entre hommes et femmes au sein du milieu de la critique ?
Quand j’ai débuté, aux alentours de 2008-2009, je remarquais que dans les salles de projection, il y avait une sorte de ratio de 75% d’hommes et 25% de femmes. Et les fameuses discussions “post-projo” n’étaient pas toujours très agréables : soit j’étais ignorée en tant que “jeune”, soit mon avis était minoré en tant que femme. Je me suis déjà pris quelques remarques du genre «Oui, mais tu dis ça parce que tu es une femme» ou «Non, mais les femmes n’y connaissent pas grand-chose dans le cinéma de genre». J’ai même vécu ce qu’on appelle “les boys clubs”.
Depuis, les choses ont évolué, plus de femmes ont rejoint le milieu, de plus en plus de femmes sont rédactrices en chef et j’ai d’ailleurs la chance d’être dirigée par au moins deux d’entre elles, à Cinémateaser et à Trois Couleurs. J’ai également la chance de collaborer avec Ava Cahen dans le cadre de la Semaine de la critique. Enfin, j’ai aussi le bonheur de travailler au sein de plusieurs festivals où mon genre n’entre pas particulièrement en jeu mais où la confiance en mon travail m’a été démontrée. Toutes ces évolutions que j’ai pu vivre sont positives, mais je sens encore parfois une manière de me traiter ou de me considérer différente. En particulier si je me retrouve en position de concurrence ou d’opposition avec un homme, où, par exemple, on aura plus tendance à parler de mon attitude, de ma capacité d’humour et de mon humeur que de mes capacités de travail et de réflexion, ou plus largement de mes connaissances. Je me sens régulièrement moins prise au sérieux.
3. Quelle est votre manière de pratiquer (ou pas) la politique des auteurs ?
Je la pratique assez peu. J’ai davantage tendance à considérer et penser le cinéma dans un cadre plus contextuel (le genre du film ou la période de l’histoire dans laquelle il est fait/sort, ou encore son mode de production, de financement, etc.). Bien sûr, j’aime repérer les tendances, les habitudes, les thématiques, les obsessions des auteurs sur l’entièreté de leur œuvre et cela peut être une grille de lecture passionnante. Mais je ne crois pas que cela doive être la seule. Elle enferme, selon moi, l’auteur dans une position de démiurge intouchable, au-delà du monde, au détriment du reste (des autres membres de l’équipe, mais aussi de son temps).
4. Dans quelle mesure vos relations – amicales, professionnelles ou mondaines – avec les cinéastes et les autres critiques peuvent-elles parfois avoir une influence sur votre manière de parler des films ?
Je suis très à l’aise avec les mondanités et ne crains pas d’aller à la rencontre des professionnels et des talents. Mais j’essaie que ces relations ne dépassent pas le cadre de la cordialité ou de la convivialité. Je me tiens, par exemple, assez à distance des relations personnelles avec les talents pour éviter justement un sentiment de redevabilité. Je suis plus proche de certains professionnels du milieu (distributeurs, producteurs, vendeurs...) mais j’ai toujours été claire sur mon métier auprès d’eux. Par ailleurs, je ne pratique pas mon métier de critique comme une occasion de ne faire que du bon mot au risque d’être injuste ou violent : je ne crois qu’à une critique argumentée et donc, dans ce cas, légitime et inattaquable par une quelconque sensibilité froissée ou un ego un peu fragilisé.
En revanche, je suis proche de nombreux critiques - amis, connaissances, collègues - et nos discussions sont permanentes, constantes, sur le cinéma. J’en tire une ouverture d’esprit, un élargissement de mes connaissances. Et évidemment, il y a une influence certaine que je n’ai pas réussi à quantifier. Je suis cependant sûre d’une chose : je n’ai jamais été une grande adepte des chapelles et ne prêche pour aucune paroisse critique précise. Si ce n’est la mienne (visiblement, moi aussi je me prends pour un démiurge :).
5. Comment votre activité critique cohabite-t-elle avec le fait de faire des films ou le choix de ne pas en faire ?
Parfaitement bien. Je n’ai jamais eu le désir de faire des films et je ne l’ai toujours pas. Ma position d’observatrice et de passeur est exactement celle que je souhaitais occuper.
6. Existe-t-il un principe moral que vous vous interdisez de transgresser dans le cadre d’une critique ?
Je refuse la gratuité ou l’acharnement. Si je n’aime vraiment pas un film, je ne vais pas aller me répandre en long, en large et en travers sur le fait que je l’ai détesté. J’ai aussi un principe d’honnêteté, que j’imagine commun à tous-tes dans ce milieu, à la fois sur ce que je pense, mais aussi dans mon argumentaire. Dernière chose, je refuse également d’être très personnelle. C’est peut-être se cacher derrière son petit doigt, sachant que la critique est éminemment subjective, mais si je sens que mon argumentaire tend trop vers l’intime, le personnel ou une émotion mal mesurée, alors peut-être qu’il est temps pour moi de poser la plume (enfin, le clavier, soyons francs) car je ne suis plus en train de parler de l’œuvre, mais de ma petite personne, ce qui, au bout du compte, n’est pas passionnant.
7. Identifiez-vous une spécificité de la génération de critiques à laquelle vous appartenez ?
Difficile à dire. Plus simple à repérer chez les autres générations. Celle qui m’a précédée mettait peut-être encore plus au cœur de son travail la question esthétique et la mise en scène, là où celle qui me suit est peut-être davantage branchée sur les questions éthiques, morales, sociétales qui traversent les œuvres et l’époque. Comme d’habitude, je pense que ma génération, les trentenaires, voire jeunes quadra, est un peu tiraillée. Je dirai qu’elle est peut-être celle qui a aboli le plus la hiérarchie du bon goût. Je remarque que la notion du “ce qu’il est bien de bien-aimer” s’estompe dans ma génération, où l’on va considérer avec le même désir, la même appétence et le même intérêt intellectuel, un film de Godard, un De Palma, un Dupieux ou un Peele, voire un Avengers. Je sais que c’est mon cas (après, mon cas ne fait pas généralité).