Les Critiques sont-ils ceux que vous croyez ?

Réponses de Chloé Cavillier

1. De quel milieu social êtes-vous issu(e) ? Venez-vous de Paris ou de province ? 

J'ai grandi en banlieue parisienne, dans les Yvelines, et viens d'un milieu social plutôt privilégié. 

2. Quelle est votre expérience des rapports entre hommes et femmes au sein du milieu de la critique ?

La critique m'apparaît encore comme un milieu essentiellement masculin. Cela a pu être intimidant voire inhibant, par exemple lorsqu'il s'agissait de prendre la parole dans des contextes où j'étais la seule femme du groupe. En quelques années, j'ai tout de même eu le sentiment de voir les discussions critiques être de plus en plus alimentées par une réflexion sur la place des femmes et les privilèges masculins, à mesure que la parole des femmes se libérait et qu'une prise de conscience s'effectuait à l'échelle de la société. J'ai également pu faire la connaissance d'autres femmes critiques, que j'espère voir plus nombreuses à l'avenir. Il existe sans doute des pistes d'amélioration, comme le fait de se rassembler et de partager nos expériences, d'aller à la recherche de nouvelles rédactrices ou de proposer d'autres modèles critiques, en dehors des codes de la masculinité. Il faut ensuite parvenir à les mettre en œuvre, ce qui n'est pas toujours évident lorsqu'on est en minorité ou que la critique n'est pas notre activité principale. 

3. Quelle est votre manière de pratiquer (ou pas) la politique des auteurs ? 

Il n'est pas aisé de répondre à cette question tant l'expression a fait l'objet de débats récemment. La considération qu'on est en mesure d'éprouver pour le travail des cinéastes et l'attention que l'on peut porter à une filmographie ne doivent évidemment pas confiner au culte aveugle et encore moins à l'impunité. Si un film reste pour moi un objet complexe, que j'essaie de ne pas réduire à un seul trait, on ne peut pas toujours faire preuve de nuance. Lorsqu'on a connaissance des conditions délétères d'un tournage ou des accusations pesant sur un membre de l'équipe, on se retrouve parfois dans l'impossibilité de voir les films avec le même regard, voire de les regarder tout court. Dans certains cas, cela peut conduire à des abandons douloureux mais nécessaires. Heureusement, la valorisation de cinématographies peu explorées permet aussi de faire de nouvelles découvertes.  

4. Dans quelle mesure vos relations – amicales, professionnelles ou mondaines – avec les cinéastes et les autres critiques peuvent-elles parfois avoir une influence sur votre manière de parler des films ? 

J'essaie qu'elles aient le moins d'influence possible, de façon à rester honnête avec les films. Dans les faits, je ne suis évidemment pas totalement imperméable aux avis de mes pairs, qui sont régulièrement venus renforcer ou nuancer mon point de vue. Je ne vois pas ça comme quelque chose de nécessairement péjoratif : il me semble que de ces échanges peuvent accoucher d'une pensée critique vivante et plastique. 

5. Comment votre activité critique cohabite-t-elle avec le fait de faire des films ou le choix de ne pas en faire ? 

Je n'ai aujourd'hui pas le désir de faire des films, indépendamment de la critique. Il s'agit à mon sens de deux choses assez différentes, même si certaines personnes parviennent très bien à concilier les deux. Sans pouvoir tout à fait me l'expliquer, je me sens plus à mon endroit dans cet “après”, que ce soit dans mon activité de programmation ou de critique, où l'on travaille à déployer les possibles d'une œuvre. Cela nécessite aussi de faire preuve de créativité !

6. Existe-t-il un principe moral que vous vous interdisez de transgresser dans le cadre d’une critique ? 

Il n'y a rien que j'ai l'impression de m'interdire consciemment, mes textes étant a priori traversés par mes convictions intimes. S'agissant d'un exercice où chaque mot compte et ayant vocation à être lu ou écouté, je porte peut-être une attention accrue à la formulation, avec une exigence de clarté et de précision. Sur la question de la “morale”, je peux être intéressée par des œuvres troubles, qui viennent interroger voire déranger nos perceptions. Je reste attentive toutefois au regard du ou de la cinéaste, à ses partis pris et à la place qu'il ou elle laisse aux spectateurs et aux spectatrices. 

7. Identifiez-vous une spécificité de la génération de critiques à laquelle vous appartenez ?

J'ai le sentiment qu'il s'agit d'une critique de plus en plus critique avec elle-même et particulièrement attentive aux évolutions du monde, qu'elles soient d'ordre formel (la revue dans laquelle j'ai commencé à écrire, Critikat, s'intéresse par exemple de près aux possibilités du numérique ainsi qu'à la perméabilité du cinéma avec la série, le clip ou encore le jeu vidéo) ou politique, qu'il s'agisse des rapports de genre, des enjeux écologiques ou encore des conflits dans le monde.