“Les grands films du patrimoine nous inspirent pour nous libérer du formatage”
Entretien avec Mikael Buch, cinéaste et cofondateur du Director's club de la SRF
Une fois par mois depuis deux ans, la SRF (Société des réalisatrices et réalisateurs de films) propose un ciné-club. Sorte de prolongement en salle du même geste que celui de LaCinetek sur Internet, le Director’s Club voit les cinéastes prendre en mains la transmission de la cinéphilie ; prendre la parole pour défendre la salle, l’histoire du cinéma et la mise en scène ; et donc prendre une position critique face à l’état du cinéma aujourd’hui. Le cinéaste Mikael Buch (Let my people go, Simon et Théodore) en est le co-fondateur.
Comment est né le Director’s Club ?
Le désir de créer un ciné-club de la SRF (Société des Réalisatrices et Réalisateurs de Films) est né pendant le confinement. Nous avons ressenti à ce moment-là la nécessité de créer un ciné-club virtuel qui nous permettrait de continuer à vivre ensemble le cinéma pendant que les salles étaient fermées. Nous regardions un film sur LaCinetek et nous nous retrouvions ensuite en visio pour échanger sur le film, parler de cinéma, de mise en scène… C’était extrêmement joyeux et salutaire. Puis lorsque les salles ont pu rouvrir, il nous a semblé important de montrer notre attachement à la salle de cinéma et de proposer à un plus large public de découvrir des grands films sur un grand écran, en l’occurrence celui de la salle Henri Langlois du Grand Action. Il y avait une nécessité de notre part de défendre l’expérience unique qu’offre la salle du cinéma en termes de partage et de communiquer aussi nos idéaux de cinéma et de mise en scène à un moment où le formatage audiovisuel se montrait plus menaçant que jamais. L’idée du Directors’ Club a été dès le départ de créer un lieu de partage où des cinéastes viendraient présenter les films du patrimoine qui ont le plus compté pour eux, non pas comme le ferait un critique ou un historien mais avec leur vocabulaire et leur regard de cinéastes.
Est-ce que le Grand Action était en demande de propositions de ce genre ?
Aurélien Peilloux, cinéaste et membre actif de la SRF, avait déjà créé par le passé deux ciné-clubs au Grand Action. C’est donc lui qui s’est chargé de contacter le cinéma et la réponse d’Isabelle Gibbal-Hardy, la directrice du Grand Action, a immédiatement été chaleureuse et enthousiaste. Le Grand Action est une salle à laquelle nous sommes très attachés en tant que cinéastes, une salle dans laquelle nous sommes nombreux à venir, par exemple, vérifier la copie finale de nos films en fin de post-production. Nous savions que c’était la salle parfaite pour partager dans les meilleures conditions les films que nous aimons, et le moins qu’on puisse dire est que nous n’avons pas été déçus. Toute l’équipe du Grand Action est habitée par une passion du cinéma qui est aussi inspirante que réjouissante.
Y a-t-il une contrainte imposée aux cinéastes pour le choix du film qu’ils présentent ? Faut-il par exemple privilégier un film rare ou lié à quelque chose de personnel ?
Nous demandons aux cinéastes que nous invitons de nous fournir une liste de cinq films importants pour eux. La seule contrainte est que le film doit être sorti en salles il y a au moins dix ans. À partir de là, nous vérifions avec le Grand Action la disponibilité des copies, ce qui réduit en général rapidement la liste car beaucoup de films ne sont hélas pas disponibles. Nous encourageons en général les cinéastes à choisir le film qu’ils ont tout simplement le plus envie de partager avec le public. Certains optent pour des films très rares, qui n’ont pas été projetés depuis des années, d’autres au contraire pour des films très populaires. Il n’y a pas de règle. La seule règle est d’être absolument inspiré et passionné par le film, et d’avoir envie de communiquer cette passion.
Est-ce qu’il y a un peu dans le projet du Director’s Club, comme dans celui de LaCinetek, l’idée de compenser une forme d’abandon, de la part des médias, du rôle de courroie de transmission de la cinéphilie ?
Absolument. Nous étions en manque d’un lieu où l’on parlerait véritablement de mise en scène, un lieu de partage et de transmission qui nous permettrait d’affirmer de façon ouverte et plurielle tout ce que le cinéma peut être, tout ce qu’il peut atteindre. Un cinéaste en activité qui parle avec amour d’un film du passé, c’est un cinéaste qui affirme que l’histoire du cinéma est comme un torrent qui continue d’avancer avec force, que les grands films du patrimoine nous inspirent pour nous libérer du formatage et inventer encore et toujours des nouvelles formes de cinéma.
Qui est le public du Director’s Club ? Est-il plutôt jeune ou vieux, plutôt du milieu ou pas ? Est-il régulier ?
Le public du Directors’ Club est très varié même si je dois dire que j’ai été agréablement surpris de voir à quel point un public plutôt jeune a tout de suite été au rendez-vous. Nos spectateurs réguliers sont souvent des étudiants de cinéma, des cinéphiles de tous âges et aussi des cinéastes qui ont plaisir à venir écouter un autre cinéaste parler de cinéma… Ensuite l’essentiel du public peut beaucoup varier car nous programmons des films d’une très grande diversité. Lorsque Pascale Ferran vient présenter Wall-E et lorsque Gustave Kervern vient présenter Passe Montagne, ce sont des événements qui ne mobilisent pas forcément tout à fait les mêmes spectateurs.
Est-ce que tu identifies ce qu’a de spécifique une séance animée par un cinéaste, par rapport à une séance animée par un critique ou un historien du cinéma ?
Ce qui est passionnant quand un cinéaste parle du film d’un autre, c’est qu’il sort du discours qu’il peut avoir par rapport à ses propres films, qu’il parle de mise en scène et de création cinématographique d’une façon nouvelle et souvent surprenante. Mais le plus important pour nous est de parler de chaque film comme d’un geste créateur, qui nous nourrit et qui nous inspire en tant que cinéastes. Il s’agit moins de remettre le film dans son contexte historique ou même dans le contexte d’une filmographie que de dire ce que le film nous ouvre comme perspectives de cinéma, de dire comment le cinéma qui nous a précédé nous donne des ailes pour avancer vers le cinéma que nous souhaitons faire demain.
Quelle a, pour toi, été la séance la plus mémorable ?
Ce qui est assez magique avec le Directors’ Club c’est que chaque séance est radicalement différente des précédentes. Entendre Pierre Salvadori parler de son admiration pour Le Trou de Jacques Becker est une expérience qui n’a rien à voir avec celle que nous propose Katell Quillévéré lorsqu’elle nous communique sa passion pour le merveilleux et très rare Baptême de René Féret ou encore de l’expérience de découvrir le sidérant Mandingo de Richard Fleischer présenté avec fougue par Arthur Harari. Chaque cinéaste nous ouvre un monde et ce qui est formidable c’est justement d’être ouvert à l’infini des possibles du cinéma !
Propos recueillis par Nicolas Marcadé