Les Critiques sont-ils ceux que vous croyez ?

Réponses de Laurent Delmas

1. De quel milieu social êtes-vous issu(e) ? Venez-vous de Paris ou de province ?

Je suis né à Paris en 1961 dans un milieu petit-bourgeois, d’un père conseiller juridique et d’une mère au foyer à l’époque mais qui deviendra conseillère conjugale durant mon enfance. Je suis donc né à Paris, mais j’ai grandi à Bourg-la-Reine, dans les Hauts-de-Seine. Mes deux parents étant nés et ayant grandi dans le sud de la France, l’une à Uzès, l’autre à Béziers, ils sont devenus Parisiens pour travailler. Je considère donc et très tranquillement que mes racines sont provinciales.

2. Quelle est votre expérience des rapports entre hommes et femmes au sein du milieu de la critique ?

Mon expérience est … paritaire, ce dont je me félicite et que je revendique. J’ai cofondé en 1999 un magazine de cinéma de presse écrite dont je fus durant six ans le rédacteur en chef puis le directeur de la rédaction avec à mes côtés une consoeur rédactrice en chef. J’estime, sans statistique précise, que la majorité des journalistes / critiques de ce magazine était féminine. Depuis dix-sept ans, je coanime et coproduit avec Christine Masson le magazine de cinéma de France Inter. Au-delà de ces deux expériences professionnelles, je n’ai jamais établi de différences entre les hommes et les femmes exerçant la même profession que moi. Conscient toutefois d’une surreprésentation masculine, cette situation m’a toujours paru regrettable et injuste. Je ne peux donc que me réjouir qu’un meilleur équilibre semble se faire jour depuis quelques années.

3. Quelle est votre manière de pratiquer (ou pas) la politique des auteurs ?

S’il s’agit de considérer que chaque film (œuvre) d’un cinéaste participe à l’Œuvre d’un cinéaste et doit donc être considérée, analysée et critiquée sous cet angle, alors, oui, je pratique la politique des auteurs au quotidien et avec conviction ! Parce que j’estime que le cinéaste est à cet égard l’égal du peintre, du romancier, du compositeur, etc., quels que soient par ailleurs les conditions d’élaboration d’un film et son aspect indéniablement collectif. Il me semble d’ailleurs que réside ici le rôle du critique par rapport au cinéphile. Mais il est possible qu’à l’heure actuelle la réaffirmation de la politique des auteurs soit plus que jamais nécessaire. Il n’est pas certain, en effet, qu’elle soit véritablement compatible avec les réseaux sociaux ou en mesure d’exister par rapport à leur fonctionnement. Ce qui pourrait donc passer pour le fantôme d’un passé truffaldien dépassé se révélera peut-être comme la nécessité absolue d’un renouveau critique précisément fondé sur l’auteur, son univers, sa singularité, sa cohérence.

4. Dans quelle mesure vos relations – amicales, professionnelles ou mondaines – avec les cinéastes et les autres critiques peuvent-elles parfois avoir une influence sur votre manière de parler des films ?

Strictement aucune. Je n’en fais, cela dit, ni une gloire, ni un jugement moral sur d’autres pratiques éventuelles. Je n’ai juste pas envie de faire à d’autres ce que je n’aimerais pas qu’ils me fassent : développer à mon égard le mal du siècle : la complaisance qui est, comme chacun le sait, la toute proche voisine de l’hypocrisie. Il peut juste m’arriver de choisir le silence qui devient alors comme on le sait assourdissant. Vaut-il mieux que la sincérité exprimée avec délicatesse ? Rien n’est moins sûr.

5. Comment votre activité critique cohabite-t-elle avec le fait de faire des films ou le choix de ne pas en faire ?

Très bien, merci. Je ne suis en rien un scénariste ou un cinéaste rentré. Je considère que la position du spectateur (lecteur, etc) est l’une des plus belles au monde. Je m’y complais avec délice. Je redoute a contrario les temps promis où chacun sera artiste. Je n’ai jamais su inventer une histoire pour endormir ma fille : elle est devenue cinéaste, me donnant ainsi amplement raison, car on est jamais mieux servi que par soi-même…

6. Existe-t-il un principe moral que vous vous interdisez de transgresser dans le cadre d’une critique ? 

J’ai beau relire votre question, je ne la comprends pas. Je dois assurément manquer de sens moral.

7. Identifiez-vous une spécificité de la génération de critiques à laquelle vous appartenez ?

Je ne me sens heureusement et définitivement pas d’une génération. Ni de la mienne, ou supposée telle, ni d’une autre. Non par posture mais par certitude que l’appartenance à un groupe doit être le résultat d’un choix et non le hasard d’une date de naissance… Comme chantait l’autre, l’âge ne fait rien à l’affaire.