Les Critiques sont-ils ceux que vous croyez ?
Réponses de Alex Masson
1. De quel milieu social êtes-vous issu(e) ? Venez-vous de Paris ou de province ?
Classe (très) moyenne. Enfance lyonnaise, pré-adolescence naviguée entre Nice, Clermont-Ferrand, Nîmes et quelques autres, mais construction et racines spirituelles à Toulouse. Monté - à regrets - comme on dit “à la capitale” par obligation, au vu d’un métier compliqué à pratiquer en dehors d’un milieu du cinéma qui y est centralisé.
2. Quelle est votre expérience des rapports entre hommes et femmes au sein du milieu de la critique ?
Je ne saurai pas vraiment répondre à cette question : je côtoie autant les uns que les autres mais ai l’impression que les questions d’ego (ou d’humilité, même si c’est plus rare), petits jeux de pouvoir, de hiérarchie entre les médias, ou appartenances à des chapelles, ne sont pas une question de sexe. Je connais autant de critiques hommes ou femmes dont la compagnie est très agréable, ouverts à la discussion que d’autres antipathiques et hautains. Il reste pour autant évident qu’une « ancienne » génération de critiques ou rédac’chefs hommes est figée dans une approche patriarcale vis-à-vis des femmes de la suivante. Mais aussi qu’au-delà du genre, la concurrence souvent mesquine dans ce métier amène à des rivalités pesant sur ces rapports.
3. Quelle est votre manière de pratiquer (ou pas) la politique des auteurs ?
En plus de la salle, j’ai été élevé par Starfix et les vidéo-clubs. Donc avec une cinéphilie basée sur la curiosité envers les marges, l’envie d’aller voir au-delà de la doxa officielle. Ou plus simplement une certaine méfiance envers les concepts théoriques pour y préférer un rapport pratique au cinéma. D’autant plus quand sa fréquentation a longtemps été une quasi survie mentale. Je crois que je serai toujours un meilleur spectateur que critique, mon ressenti immédiat, émotionnel voire physique face à un film l’emportera toujours sur l’approche analytique.
4. Dans quelle mesure vos relations – amicales, professionnelles ou mondaines – avec les cinéastes et les autres critiques peuvent-elles avoir une influence sur votre manière de parler des films ?
Le rapport amical avec des cinéastes me semble forcément complexe : comment rester neutre, sincère, dans l’abord d’un film dont on connaît le réalisateur ? Il est arrivé que certains dont je commençais à être proche aient rompu les ponts le jour où un festival auquel je collabore a décidé de ne pas sélectionner leur film. Tout comme il est arrivé que je sois mal à l’aise avec d’autres quand leurs films ne m’ont pas plu. Pour ce qui est du rapport avec les autres critiques, je ne crois pas qu’il m’influence en quoi que ce soit. D’autant plus quand il est de plus en plus fréquent que nous devions - eux comme moi - écrire non pas en fonction de nos avis mais des lignes éditoriales de nos médias, des desideratas de chefs de rubriques ou rédac’chefs pensant à la place de leurs lecteurs, de crainte de les perdre. D’où une presse cinéma de plus en plus uniforme, terne, molle.
5. Comment votre activité critique cohabite-t-elle avec le fait de faire des films ou le choix de ne pas en faire ?
Adolescent, j’ai voulu un moment devenir réalisateur. Et puis je me suis penché sur les examens d’entrée aux écoles de cinéma d’alors. Constater par exemple que l’enseignement pratiqué à l’IDHEC (future FEMIS) tendait vers le pire du cinéma d’auteur et de ses indécrottables clichés, m’a vacciné. Plus tard, voir comment l’engagement, souvent de plusieurs années, de certains réalisateurs pour faire un film pouvait être atomisé par des critiques - dont parfois moi - à qui il n’avait fallu que quelques heures pour rédiger des textes gratuitement assassins m’a définitivement dissuadé. Mais à l’inverse poussé à être autant que possible - sur certains cas ça ne reste pas possible - bienveillant dans mes textes.
6. Existe-t-il un principe moral que vous vous interdisez de transgresser dans le cadre d’une critique ?
Contrairement à la sacro-sainte loi des Cahiers pour certains, à mes yeux la critique n’a rien à voir avec la morale, sinon elle devient justement de la moraline. Ou transforme les critiques en juges moraux, se plaçant souvent dans une gargarisante supériorité par rapport aux réalisateurs. Je penche plus vers certains principes éthiques, comme l’attention à la bienveillance indiquée plus haut ou la crainte de ne pas résister à des bons mots, au risque de devenir comme certains (allo, Eric Neuhoff et consorts ?) des gens qui masquent une absence de pensée par un sens de la formule.
7. Identifiez-vous une spécificité de la génération de critiques à laquelle vous appartenez ?
Oui : une certaine connaissance acquise au long d’années de pratiques qui contraste très fortement avec celle qui arrive, souvent - il y a aussi, et c’est heureux, parmi elles des gens qui font leurs devoirs… - dans une amnésie galopante, pour ne pas dire une méconnaissance du cinéma les menant à des avis à l’emporte-pièce ou une opinion tranchée mais rarement solidement argumentée, visant avant tout à les faire exister auprès de leur audience (notamment chez les Youtubers. Allo Durendal ?). La faute ne leur en incombe pas totalement : la multiplication démesurée de l’offre de films amenée par les plateformes comme leur transformation des spectateurs en consommateurs, via un achalandage permanent de nouveautés ou à l’inverse la disparition de plusieurs pans de cinéma “ancien”, et du coup sa compréhension, ont mené à ça. Même si des poches de résistance s’affirment - cf, le travail phénoménal de certains sites, d'éditeurs vidéo indépendants, exhumant des films et les accompagnant d’une véritable éditorialisation, le nombre croissant d’éditeurs de livres de cinéma ou de revues alternatives (mooks, revues en ligne) en dépit d’un marché moribond. Pour autant, ma génération n’est pas non plus exempte de postures de “vieux cons” ou de mise en scène de leur statut (Cf. Le Masque et la plume, devenu depuis plusieurs saisons : un sinistre Muppet Show où il est de moins en moins question d'argumentation critique et de plus en plus de représentation de ses barons, accoudés au comptoir de ce café du commerce). Plus inquiétant, la spécificité commune à ma génération de critiques comme à la nouvelle reste une précarité qui s'accroît, toujours plus au bord de l’impossibilité de vivre de ce métier.