Théorie et pratique

Le critique de cinéma est souvent envisagé comme un personnage un peu théorique. D’abord parce que c’est souvent dans ce registre qu’il s’exprime, ensuite parce que les contours mal définis de ce qui pourrait le situer socialement (à quoi il sert ? Qu’est-ce qui le motive ? Comment il est rémunéré ?…) tendent à le rendre, dans l’imaginaire collectif, plus théorique que concret. Dès lors, on parlera plus volontiers de “la critique” que des critiques. Et on envisagera “la critique” comme une sorte d’entité globale et immanente, dotée du pouvoir de penser et ressentir unanimement («la critique a détesté»), le plus souvent opposée à son nemesis tout aussi essentialisé, “le public”, auquel on prête la même capacité à formuler collectivement un avis («le public a adoré»).

Pour tenter de dissiper autant que faire se peut le schématisme (et les malentendus dont il peut être la source) de cette vision globale et théorique, l’idée de ce numéro spécial de la Lettre est donc de proposer à un certain nombre de critiques de prendre la parole à titre individuel, et en essayant de mettre en avant leur pratique davantage que leurs théories.

Pour cela nous leur avons soumis un questionnaire à sept entrées, dont chacune renvoie à une idée générale ou un cliché associé à la critique de cinéma :

1. La critique est parisianiste et bourgeoise
2. Le secteur de la critique est dominé par une misogynie systémique.
3. La liberté de jugement de la critique est subordonnée au dogme de la “politique des auteurs”
4. La critique est un milieu mondain fonctionnant dans l’entre-soi.
5. Tout critique est un cinéaste raté, donc aigri.
6. La critique ne sait pas se fixer de limites pour ne pas aller trop loin
7. Quelles que soient les époques, de Louis Delluc à Durendal, la critique reste toujours “la critique”.

À partir de là, il ne s’agit pas de valider ou invalider ces allégations - à la fois vraies et fausses, sans surprise – mais plutôt de les relativiser, en les mettant en regard avec les cas pratiques que constituent les expériences personnelles des uns et des autres. Chacun des intervenants qui ont accepté de participer à l’expérience se sont emparé à leur manière des questions posées, et chacun des lecteurs pourra donc au bout du compte en tirer, lui aussi à sa manière, des conclusions générales s’il le veut. Mais avant cela, il aura peut-être pu, entre les lignes et au fil du voyage, percevoir quelques éléments à la fois d’une histoire et d’une géographie de la critique de cinéma, en apercevant ici un vestige du passé, là un bout de frontière ou des variations architecturales. Mais surtout ce que nous espérons c’est que cette petite enquête préliminaire menée dans la cuisine individuelle des critiques, et voulue comme relevant davantage de la conversation que du débat d’idées, pourra à son échelle nourrir la réflexion sans doute nécessaire de “la critique” sur elle-même.

Nicolas

Nicolas Marcadé