Un journalisme politique comme les autres
par la rédaction de Débordements
Débordements est une revue de cinéma en ligne fondée en 2012. Deux de ses représentants, Occitane Lacurie et Barnabé Sauvage, ont participé à une rencontre avec Josué Morel et Corentin Lê de Critikat dans La Lettre (voir ici). La rédaction a choisi de s’exprimer collectivement dans ce texte.
Cette année, le cœur de Débordements a battu au rythme des mobilisations, notamment, de celle opposée à la “réforme” des retraites. Comme beaucoup, nous y avons cru, dans les frimas des premières manifestations de janvier, comme beaucoup, nous avons désespéré aux beaux jours, quand il est devenu clair que tous les recours étaient épuisés. Nous avons essayé de lutter, à notre manière, avec les films, nos films (des documentaires d’ami(es) et de membres de la revue) et notre lectorat, en bricolant une projection-caisse de grève dématérialisée, assortie d'un fanzine imprimable, suivie, quelques mois plus tard, de nos Notes sur la Palestine.
Au printemps, il a fallu se rendre à l’évidence de l’inexorable défaite du mouvement social, couronnée par un festival de Cannes au sommet de sa vanité bourgeoise, honorant les agresseurs et comptant sur la police pour contenir toute action syndicale ou militante.
Au faîte de cette sinistre 76e édition, pourtant, la cinéaste palmée a pris la parole. Et quelle parole ! Justine Triet, droite, sur scène, affirmait son soutien à la lutte pour les retraites et le service public, à la redistribution des fruits du travail et à la mise en commun des ressources. Chacune et chacun se souvient des cris d’orfraie qui ont retenti sur les plateaux de télévision, et de ceux, plus inquiétant encore, qui ont résonné dans les couloirs des ministères puis sur X-Twitter.
La cinéaste était volontiers qualifiée d’“ingrate” par des membres de la représentation nationale, oublieux du fonctionnement du CNC et, une fois de plus, de la différence entre l’État et une entreprise privée.
À la sortie du film, la première ministre s’est même fendue d’un dernier scud, faisant état d’un “blocage” lui interdisant d’aller voir la palme d’or en salle. “Blocage”, voilà qui travaille le signifiant : référence inconsciente aux blocages des facs et des raffineries ? Un autre blocage (ou plutôt, un contre-blocage) nous a, quant à lui, réjoui(e)s : celui de Camille Nevers, au Masque et la plume, qui affirma courageusement son refus d’aller voir le film de Philippe Garrel, en soutien aux actrices, moment fort de la critique de cinéma en 2023. De notre côté, nous tentions aussi de contredire les conservatismes sirupeux, drapés de belles idées, en faisant entendre une voix discordante à propos du film de Catherine Breillat.
Bref, quelques semaines après le très médiatique blocage ministériel, nous apprenions qu’Anatomie d’une chute ne concourrait pas pour la France aux Oscars. Pour l’année à venir et toutes les suivantes, peut-être ce moment marque-t-il un tournant dans ce que doit être la critique de cinéma en France : du journalisme politique comme les autres. En cette fin d’année 2023, avec l’exclusion du programme Collèges au cinéma de Wardi, film d’animation retraçant la vie d’un jeune réfugié palestinien au Liban, et, plus généralement, la criminalisation des opinions internationalistes, cette intuition aurait tendance à se confirmer.
Pour 2024 et face au silence des rédactions concernant la Palestine, nous souhaitons donc une critique de lutte, une critique politique.
Débordements, revue de cinéma, novembre 2023