« La presse papier est la cinquième roue du carrosse... »
Entretien avec Sylvie Forestier, attachée de presse
Informatique, anglais et communication. Voici la formation de cette atypique, née en 1962, ayant découvert l’existence du métier d’attachée de presse en regardant un sujet de l’émission Cinéma Cinéma ; et l’ayant appris à bonne école dès la fin 1987, auprès de Michèle Bertrand, Denise Breton puis Michèle Abitbol. Indépendante, puis affiliée à UIP, Sylvie Forestier dirige le service de presse d’Universal depuis douze ans.
À vos débuts, qu’avez-vous appris concrètement de ce métier sur le terrain ?
Au-delà de l’impression d’être dans La Rose Pourpre du Caire ? Car j’ai passé mon premier festival de Cannes en 1989 aux côtés de Denise Breton, entre Jane Fonda, Gregory Peck (pour Old Gringo de Luis Puenzo) et Woody Allen (pour New York Stories)… Et mon premier festival de Deauville avec Robert Mitchum ! Je lisais beaucoup la presse, je connaissais certains noms de journalistes et critiques de cinéma, j’ai donc appris à mettre des visages sur ces noms. Et peu à peu, à connaître aussi leurs goûts, leurs affinités de sujets ou de genre, parce que dès le début, quelqu’un comme Denise Breton me faisait appeler tout le monde, pour me familiariser et aussi pour qu’ils me connaissent. J’ai été à bonne école.
La critique était alors très importante ?
Avoir une bonne critique pouvait changer la vie d’un film. Et dans le cas d’un avis négatif, on tentait d’atténuer par du contenu rédactionnel en proposant des interviews.
Comment s’organisait le travail pour vous et les journalistes lors de votre premier festival de Cannes ?
À l’époque, on guettait les journalistes aux sorties de projections pour avoir leur sentiment sur le film. Sinon, tout se gérait au téléphone… fixe. On mettait des petits mots doux dans les casiers de presse, on laissait des messages dans les hôtels qui n’arrivaient pas forcément, donc il y avait parfois des ratés dans les emplois du temps. Mais globalement ça fonctionnait. Il y avait déjà des tables rondes mais plutôt pour la presse internationale. La presse française avait droit aux one on one… Et il y avait déjà, de façon différente, des junkets télé sur une terrasse.
Quelles étaient les durées moyennes d’interview ?
Jamais moins d’une demi-heure pour la presse écrite et un quart d’heure minimum par télé.
Et aujourd’hui ?
En ce qui me concerne, vingt minutes maximum pour la presse écrite, on se bat beaucoup : parfois on arrive à obtenir… 22 minutes ! Et en télé, entre cinq et huit. Moi, j’ai tendance à refuser les créneaux de cinq minutes, qui ne servent à rien.
Est-ce qu’Universal vous oblige à donner des créneaux de plus en plus courts pour avoir la couverture la plus large possible en nombre de médias ?
Non, on ne m’oblige à rien. J’ai affaire à des gens qui remplissent des cases. Ils n’interviennent pas du tout dans le choix de ce que je peux mettre en avant dans les interviews. Par contre, comme ça passe systématiquement en validation chez les publicistes personnels, ça me revient régulièrement avec des refus sans raisons objectives. Je me retrouve à devoir argumenter sur tout ce que je souhaite faire. Le principe du junket s’est retourné contre le junket : l’idée de départ, qui consiste à faire le maximum d’interviews en un minimum de temps, a du bon. Mais à force, ça saoule les comédiens qui répètent toute la journée la même chose à des journalistes qui, par manque de temps, vont droit au but et posent tous les mêmes questions. C’est un cercle vicieux. Et cette dérive-là vient à mon sens des publicistes perso qui ont le pouvoir absolu, et refusent des créneaux horaires supérieurs à cinq ou six minutes.
Dans un junket où la presse européenne est conviée, quelle est la part laissée à la presse française ?
Il ne faut pas oublier que la France n’est qu’un territoire parmi d’autres. Et nous n’avons pas la priorité, parce que tout se décide en fonction du box-office sur les premiers territoires. En Europe, l’Angleterre et l’Allemagne sont plus importantes en terme de box-office.
Et côté réseaux sociaux ?
C’est ce qui change le plus. En gros, pour le studio, la presse papier est la cinquième roue du carrosse.
Depuis combien de temps ?
Je dirais cinq ans… À cette époque, on nous a demandé de favoriser les blogueurs ; aujourd’hui, ceux-ci font partie de mon fichier (2000 personnes, tout de même !) mais depuis trois ans environ, ce sont les influenceurs qui comptent… Les réseaux sociaux ont pris une importance énorme. Maintenant mon boulot consiste, lorsque je « deale » une interview dans un magazine papier, à ce que, dans le package, il y ait aussi une couverture sur le site internet et les réseaux sociaux du magazine.
Il y a désormais un distingo entre presse traditionnelle et nouveaux médias, et pour un même film des attachés de presse différents en fonction des supports ?
Oui, de plus en plus. Mais pas chez Universal. Nous avons, par ailleurs nos propres réseaux sociaux : une chaine YouTube, une page Facebook par film, un compte Instagram, gérés par des community managers. Nous avons des agences qui, au sein du service marketing, dealent les partenariats, les opérations spéciales… Moi, je gère la presse et les réseaux sociaux qui vont avec la presse…
Les partenariats ont pris une place importante, mais ne se font plus seulement avec la presse traditionnelle, justement ?
Sur chaque film on fait des partenariats, télé, radio et alternatifs. Les partenaires sont inclus automatiquement dans les junkets, ce qui réduit encore le temps général d’interview.
Comment ça se passe sur un film comme Downtown Abbey, par exemple ?
Pour Downton Abbey, on a eu seulement un junket à Londres. Il y avait peu de places et, pour le coup, beaucoup de demandes. Là, par exemple on a envoyé Le Point, avec lequel on avait un partenariat, Le Figaro, Paris Match, Télé Loisirs, Point de vue…
C’est pas mal pour un endroit où il n’y avait pas de place ?
On est quand même assez tenaces. Au début, ils nous ont sabré beaucoup de gens, et à force de persuasion on a réussi à envoyer Konbini, OCS, Canal + ... Le souci c’est qu’on nous demande toujours d’envoyer très en amont les « nominations » - eh oui, c’est ainsi qu’on appelle la liste des journaux pressentis -, et là c’était le 4 août… Difficile d’obtenir des réponses de journalistes à cette date, a fortiori sans avoir vu le film… Parce qu’en général, lorsqu’on commence à mettre en place un plan média, nous-mêmes n’avons pas vu le film. Cela dit, pour Downton Abbey, les journalistes ont pu voir le film avant le junket, et à Paris, ce qui est exceptionnel…
C’est sans doute un combat d’arrière-garde, mais je continue à trouver impossible de demander une interview sans avoir vu le film…
Nous sommes d’accord, mais nous n’avons plus le choix. Internet et le piratage ont tout fait basculer. Avant, on sortait trois mois après les États-Unis, on pouvait travailler en amont : deux mois avant la sortie, on avait la copie sous-titrée, le matériel photo, les extraits, le dossier de presse. Aujourd’hui, ça arrive une fois tous les deux ans et plutôt pour un film « atypique » pour Universal, c’est à dire Phantom Thread ou Yesterday. Ce qui exclut, de fait, la presse papier mensuelle. La plupart du temps, on sort les films date à date, et nous avons un problème de sous-titrage et de doublage, que le studio a une forte tendance à occulter, ainsi que les réalisateurs qui finissent leurs films à la dernière minute. Sans parler des effets spéciaux qui demandent un temps de finalisation supplémentaire. Bref, les copies définitives arrivent très tard, et notre service technique fait des miracles pour sortir la copie VOST en un temps record… Quand on vous dit, en tout cas chez nous, qu’il n’y a pas de projections c’est que, vraiment, il n’y a pas de film et que nous même, souvent, ne l’avons pas vu…
Cette façon de faire a exclu les mensuels, non seulement pour les critiques, mais de plus en plus également pour les interviews. Ce qui a rendu caduque une partie de la presse spécialisée cinéma…
C’est terrible, parce que les mensuels ne font quasiment plus partie de ma base de données. Quand on arrive à monter quelque chose avec un mensuel c’est un miracle. Et sur les blockbusters, qui sont majoritaires chez Universal, c’est impossible. Avant, on avait les « long lead days », destinés aux magazines à long délai de bouclage ; depuis peu ça a été remplacé par les « content days », ça peut être deux ou trois mois avant la sortie, et c’est une journée presse destinée à « créer du contenu ». En général le casting est rassemblé et on leur fait enregistrer, par exemple, des introductions de film annonce, pour un site partenaire ou pour une opération spéciale avec un groupe de salles. On peut toujours y envoyer des mensuels, sauf qu’il n’y a souvent que le film annonce à leur montrer…
En fait vous travaillez de moins en moins avec la presse traditionnelle ?
Certains mensuels acceptent des interviews « à l’aveugle », car il n’y a pas d’autre possibilité. Les news magazine refusent totalement de faire des interviews sans avoir vu le film, ou sans un créneau suffisamment long ; et donc je ne travaille quasiment plus avec eux non plus. Les conditions ne sont jamais requises. Sauf ponctuellement. Par exemple, pour Yesterday, Danny Boyle et Richard Curtis ont été disponibles une journée et demie et ont totalement joué le jeu. Sur ce film-là, on a fait de la presse classique, mais aussi des sites, on les a emmenés dans le dernier vidéo club parisien pour Konbini, on a organisé un événement influenceurs avec YouTube, on a fait un Q&A après la projection...
First Man de Damien Chazelle
Les Influenceurs en général ne sont pas spécialisés dans le cinéma ?
Non. Ce sont des gens qui postent et ont des followers. On fait appel à des agences qui nous proposent des influenceurs, selon la typologie du film et l’objectif recherché. Les très gros influenceurs, ceux qui ont plus d’un million de followers sur Instagram, Snapchat ou YouTube, demandent souvent à être payés ; or nous refusons la rémunération, sauf cas exceptionnel. Et puis, il y a la « micro influence », des gens qui ont entre 30 et 50 000 followers, et qui sont spécialisés dans un domaine précis. Par exemple, pour First Man de Damien Chazelle, on a travaillé avec une agence de micro-influence (rémunérée) qui a sélectionné pour nous un certain nombre d’influenceurs spécialisés dans l’aéronautique, l’aérospatiale, et autres. On les a emmenés à la Cité de l’Espace à Toulouse avec projection du film sur place et visite privée, conférences etc. C’était passionnant…
Tout cela est donc plus prescripteur qu’une critique ?
Si vous me demandez quel est le taux de conversion du nombre d’adolescents qui vont lire un post sur Instagram et aller voir le film, je n’ai pas la réponse. On a tout un tas d’études sur le nombre de likes. Et par exemple, maintenant on lance un film annonce comme un film. Parce que c’est relayé partout sur les réseaux sociaux, sur le net, et c’est ce qui va donner la première tendance… En fait, nous sommes obligés de nous remettre en question de façon permanente, et de nous mettre au diapason des nouvelles technologies…
Vous n’avez pas la nostalgie du plaisir de lire une belle grande critique sur un film que vous défendez et aimez ?
Si, mais tout le monde vous dira que personne ne lit. Moi la première, je lis moins qu’avant. Ou en tout cas je picore. Mais pour la frange la plus âgée du public, il y a encore des journaux prescripteurs : Télérama, Le Monde, Le Nouvel Observateur… Je continue à envoyer au siège d’Universal, en les traduisant en anglais, les grandes lignes des critiques parues le jour de la sortie. Et, un mois après, j’envoie certaines critiques entières…
Si ça change aussi vite que vous le dites, ça va encore changer…
Dans l’année qui vient, nous avons 28 films datés… Donc un film tue l’autre. Moi je ne fais plus de la presse, je fais de l’intendance, du back-office, je résous les problèmes à l’international. J’aime beaucoup aussi, mais ce n’est plus le métier de mes débuts.
Propos recueillis par Isabelle Danel