« Le monde de la critique a changé car la presse a changé »

Katia Bayer est rédactrice en chef du site Format Court et rédactrice pour Cinergie et Toutelaculture.

Comment es-tu entrée dans le métier de critique ?

Un peu par hasard. Je ne me suis jamais dit que je serais critique un jour. La production m’intéressait à l’époque car j’aimais beaucoup le travail de Frédéric Fonteyne, un réalisateur belge. J’avais remarqué le nom d’Artémis Productions au générique de ses films. Je me suis dit que derrière un bon film, il devait y avoir un bon producteur. J’ai pris rendez-vous chez Cinergie, le site de cinéma belge, en pensant qu’on me fournirait des conseils de boîtes où aller. Sur place, on a un peu discuté de la production et on m’a surtout proposé de faire un stage à la rédaction. J’avais fini mes études en journalisme, je m’intéressais au cinéma, je venais de travailler à IMAJ, l’Institut de la Mémoire Audiovisuelle Juive. Je me suis dit que ce serait une belle opportunité de découvrir le milieu de l’intérieur. Deux jours après, le jour de la St-Valentin, on m’a proposé d’aller dans un festival à Mons pour assister à un dîner-hommage à Philippe Volter, un comédien dont je n’avais jamais entendu parler, et qui a joué pour Kieslowski et Rappeneau. Sur place, Abdelkrim Bahloul et Gérard Corbiau qui l’ont dirigé m’ont parlé de lui. J’avais un petit enregistreur d’étudiante avec moi, j’ai écrit un portrait. Je pense que ce jour-là, sans trop comprendre ce qui m’arrivait, je suis entrée dans le milieu, en écoutant des hommes émus parler d’un comédien qui les avait marqués. Leur confiance, celle de ma rédaction, et ce que j’ai ressenti ce jour-là en termes de partage et de cinéphilie m’ont permis, je crois, de rentrer dans ce drôle de métier.

Y a-t-il des moments dans ta carrière où tu as pu ressentir que le fait d’être une femme était un handicap, un frein, ou au contraire un avantage ?

Je n’ai pas spécialement ressenti le fait que cela posait problème. Ce qui a été plus difficile, c’est le fait de venir d’ailleurs, de Belgique, et de me faire difficilement une place en France, en plus dans un secteur compliqué, peu sexy (pour les autres) : le court-métrage. J’ai pu rencontrer une forme de paternalisme, des critiques, des moqueries, mais de là à dire que c’est parce que je suis une femme…

Penses-tu que le fait d’être une femme change la manière dont on exerce le métier de critique ? Existe-t-il une forme d’autocensure sur certains films, certains auteurs, certains sujets ?

Je me suis spécialisée au fil des années dans le court. Je vois les films de la même manière, qu’ils soient réalisés par les hommes ou les femmes. Je ne pense pas m’auto-censurer. Après, évidemment, j’ai une histoire, des affinités, une subjectivité. Est-ce que le fait d’être une femme influence mon métier ? Je ne sais pas. Si c’est le cas, j’évolue, je grandis, je vieillis, j’écris différemment aujourd’hui qu’à l’époque. Parfois, en relisant des vieux papiers, je rigole ou regrette certaines idées. Je m’étonne aussi. Je trouve que c’est un exercice curieux de se relire. C’est la même signature mais moi, j’ai changé.

Au sein des rédactions dans lesquelles tu as travaillé, t'est-il arrivé de te sentir cantonnée à certains sujets, certains types de films, ou tenue à l’écart de certains autres ?
Pas tant que ça et surtout pas parce que je suis une femme ! J’ai souvent eu la chance de pouvoir choisir mes sujets et de décider d’éclairer tel film, auteur ou festival. Bien sûr, il est arrivé que je veuille interviewer tel acteur ou réalisateur mais que le sujet soit pris par quelqu’un d’autre, soit au sein de la même rédaction, soit par un média plus important. Quand tu es “petite”, les attachées de presse décident subitement de faire passer Arte à ta place... du coup, il ne te reste qu’à choper le réalisateur à la sortie des toilettes ! Quand tu es “petite”, on te fait attendre aussi, on te propose un autre interviewé ou on raccourcit ton temps d’interview ! Ça n'a pas forcément créé de frustrations, ça m’a permis d'être plus stratège parfois. De savoir dire non aussi ou de ne pas publier. En fait, il y a tellement de choses à dire dans le cinéma qu’on rebondit bien vite !

As-tu l'impression de porter un regard particulier sur les films de femmes ? Si oui, de quelle nature ?

Je ne porte pas de regard particulier sur les films de femmes mais ça m’arrive de m’intéresser à des femmes qui portent des films. Dans une programmation, je n’isole et ne compte pas les films de femmes. J’ai collaboré avec le Festival de Films de Femmes de Créteil via la remise d’un Prix Format Court car il s’agissait d’un bon festival et il me permettait de voir des films que je n’aurais pas forcément vu ailleurs, tout comme j’ai bossé avec plein d’autres festivals. Je n’essaye pas de catégoriser, les étiquettes m’emmerdent, mais si une femme ou un homme fait un bon film, c’est chouette. Ce qui compte, c’est le film.

Penses-tu qu'une femme ait un regard critique différent d'un homme ? 

Ah. La question piège ! Je pense qu’une femme a, comme je l’ai déjà dit, une histoire, un bagage. Un regard et un regard critique, ce n’est pas la même chose. Je ne pense pas avoir le même regard que mes consœurs car on est toutes différentes, et tant mieux.

As-tu constaté une évolution sur ces sujets au fil du temps ? Et notamment, as-tu l'impression que la "population" critique ait évolué, du point de vue de la diversité de genre, mais aussi d'âge et de classe sociale ?

En terme d’évolution, ce qui m’intéresse, c’est le fait que la « population » (j’aime bien ces guillemets !) a précisément changé. Il y a plus de femmes qui accèdent au métier de critique, moi-même, je viens d’adhérer au Syndicat cette année alors que par le passé, surtout en arrivant en France il y a 10 ans, j’étais persuadée que ce n’était pas à ma portée, que je n’étais pas légitime. Aujourd’hui, quand je regarde le site du Syndicat, je vois avec plaisir une diversité d’âges et de genres, je le remarque aussi dans les comités de sélection. C’est bien de renouveler les comités, il faut que les regards évoluent. 

Je constate avec satisfaction qu’il y a une nouvelle génération de jeunes critiques, femmes et hommes, qui a envie de faire ses preuves dans le milieu. Je trouve ça stimulant qu’il y ait une relève, qu’elle soit là, qu’elle ait la niaque, qu’elle soit prête à révéler les nouveaux auteurs et ne s’embarrasse pas des étiquettes. Ces dernières années, des nouveaux webzines sont apparus et de nouveaux jeunes critiques ont émergé, ce qui a permis de diversifier les écritures. Le monde de la critique a changé car la presse a changé. Le cinéma est plus accessible aujourd’hui et c’est une bonne chose.