Revues et cinéma et SVOD : mise à plat(formes)
Table ronde
Le premier confinement a plus que jamais installé l'usage des plateformes SVOD, Netflix et Amazon Prime video en tête, auprès des spectateurs. Mais qu'en est-il pour les revues de cinéma et leur contenu éditorial ? Tour de table avec Emmanuelle Spadacenta (Cinemateaser), Bruno Deruisseau (Les Inrocks), Fausto Fasulo (Mad Movies) et Christian Viviani (Positif).
Y a-t-il un film ou un moment précis où vous vous êtes dits qu'il était nécéssaire pour vos revues respectives de traiter les “originals” des plateformes de SVOD comme les sorties-salles ?
Emmanuelle Spadacenta : Avant l'émergence des “originals”, j'avais eu un rendez-vous avec Wild Bunch à propos du e-cinema. On avait fait le pari, même si par la suite ce modèle a périclité, de le traiter dans notre cahier de sorties cinéma. Ça a été un premier pas vers une ligne voulant que les films de plateformes ne soient pas traités dans un cahier spécifique. Le vrai basculement a été Okja,que l'on a mis en couverture non pas parce que c'était un film Netflix, mais parce qu'on l'aimait énormément, point.
Bruno Deruisseau : Je suis arrivé en poste aux Inrocksaprès le débarquement en force de Netflix à Cannes avec Okja et The Meyerowitz stories. C’était aussi un moment où les pages Télévision avaient disparu du magazine, mais au-delà de ça, je pense que ce sont ces deux films et leur présence à Cannes qui ont changé la donne.
Fausto Fasulo :La question ne s'est jamais vraiment posée chez Mad Movies, puisque le traitement de films qui ne sortent pas en salles est de longue date dans son ADN. À l'époque de la VHS, on parlait beaucoup de direct-to-video, puis plus tard en DVD, puisque tout un pan de cinéma de genre, qui est notre base, n'avait pas droit de cité en salles. D'une certaine manière, les films en VOD et en SVOD ne sont qu'une continuité de ça
Christian Viviani : Je n'ai pas souvenir d'un film en particulier pour Positif sur cette question. Comme c'est une revue institutionnelle, ça n'a pas été facile de faire bouger les choses, d'admettre qu'on pouvait voir des films autrement qu'en salles. Le déclic n'a eu lieu qu'après un numéro spécial, il y a à peu près cinq ans, consacré au phénomène des plateformes et des séries.
Comment du coup, Christian et Bruno, avez-vous perçu l'arrivée de cinéastes “auteurs” (ligne majoritaire de Positif ou des Inrocks), de Martin Scorsese à David Fincher en passant par Noah Baumbach, sur Netflix ?
C.V : Ça a forcément bousculé notre point de vue. Mais un film comme Roma, s'est aussi imposé chez Positif parce qu'il avait été primé à Venise, ce qui a convaincu les derniers réticents de la rédaction. Sans ce prix, on l'aurait sans doute traité comme un film “normal” : au lieu des dix pages, il n'aurait peut-être eu que deux pages de critique, dithyrambique ou non.
E.S. : Chez Cinemateaser, cette notion d'auteur importe moins : quand on fait une interview de Sam Hargrave sur Tyler Rake ou Gina Prince-Blythewood sur The Old Guard, c'est parce qu'on estime qu'il ont des choses intéressantes à dire. Loin de moi, l'idée que tous les réalisateurs sont des auteurs, mais ceux-là ne méritent pas d'être négligés pour autant.
B.D. : Ce que dit Emmanuelle pose une question essentielle : la manière dont on aborde les films de plateformes tient beaucoup au travail qui a été fait en amont. Les plateformes communiquent avec nous bien plus facilement sur les films d'auteurs déjà reconnus. La démarche est quasiment inverse quand on veut aborder leurs autres films. Là, c'est nous qui devons être demandeurs de matériel, d'accès. Il y a une hiérarchie en trois temps dans la manière dont Netflix ou Amazon Prime Video nous approche : les films d'exploitation pure, uniquement destinés à faire du click, qu'ils ne vont pas nous proposer ; les films dont s'occupent la presse de Netflix en France, et, depuis peu, ceux, plus “classieux” qui ont désormais recours à des attachés de presse de sorties salles. C'est à nous, critiques, de ne pas nous faire happer par ce système et de dresser notre propre hiérarchie en fonction de l’intérêt.
Justement, quels sont vos rapports avec les attachés de presse des plateformes SVOD ? Sont-ils différents de vos interlocuteurs pour les sorties-salles ?
F.F. : Soyons clairs : pour les plateformes, mais aussi, en ce qui concerne le cinéma de genre, pour les sorties-salles, si tu n'es pas très proactif, tu peux attendre longtemps les informations nécessaires. Les plateformes ne communiquent que sur assez peu de films. Pour 98% de leurs sorties, il n'y a pas de communication, voire d’intérêt de leur part à communiquer. Il m'est arrivé souvent de lancer une bouteille à la mer auprès des attachés de presse de Netflix ou Amazon prime video, mais sur des films qui n’intéressent qu'une presse spécialisée comme nous. Et c'est majoritairement resté sans réponse. Il faut alors, puisque la porte est fermée, essayer de passer par la fenêtre, en contactant directement les réalisateurs ou les techniciens par les réseaux sociaux, puisqu'il a été décidé en haut des services de presse que ça ne valait pas le coup de communiquer sur ces films, qui ne seront pas en tête de gondole sur les plateformes...
C.V. : C'est un parfait résumé de la situation : nous devons faire la prospection par nous-même puis passer par les attachés de presse, sans garantie (et généralement pas) de résultats. Donc on se débrouille autrement... »
Il s'avère qu'au-delà de Netflix et Amazon Prime video, il existe des dizaines d'autres plateformes en France (d'Outbuster à Mubi, de LaCinetek à Shadowz…) : comment expliquez-vous que celles-ci soient très peu présentes dans la presse cinéma ? Est-ce qu'entre les géants et les petites structures de ce secteur est en train de s’installer un rapport similaire à celui qui existe entre les majors et les indépendants pour le cinéma ?
B.D. : Je ressens de façon beaucoup plus forte la dimension éthique de mon rôle de critique dans le choix de traiter des films Netflix, Amazon Prime et Disney + ou ceux de Mubi, LaCinetek et autres, que dans celui d'aborder un film de major ou de distributeur indépendant. Les Inrocks ont mis en ligne un texte sur les plateformes SVOD auteurs hors Netflix et AmazonPrime. C'est l'article qui a le mieux marché depuis le premier confinement. Ça démontre l'appétit très fort de nos lecteurs pour ces plateformes-là. Ça ne pouvait qu'influer sur nos choix éditoriaux pendant cette période. Ce qui amène par exemple à ouvrir un cahier cinéma sur Cimetery, film très pointu de Carlos Casas diffusé par Mubi, et ne donner qu'une demi-colonne au film avec Sophia Loren qui arrive sur Netflix. Le rouleau compresseur des grosses plateformes met autant en danger le cinema sur internet qu'en salles. Autre exemple : la question se pose de faire une couverture en décembre sur The Prom(NDR : la comédie musicale de Ryan Murphy, avec Meryl Streep et Nicole Kidman, annoncée sur Netflix). Mais si les salles rouvraient d'ici là, ça me briserait le cœur de le faire. Sans compter le mauvais signal que cela enverrait à l'industrie. L'antagonisme ne se joue pas pour moi dans un rapport similaire entre Netflix, Amazon Prime et les petites plateformes et entre les majors et les distributeurs indépendants mais bien plus sur comment on va réussi a sauver les salles en trouvant un équilibre moral entre tous ces acteurs de l'audiovisuel.
Mank de David Fincher (Netflix)
À propos d'équilibre : l'une des forces des grosses plateformes est leur surface publicitaire. Avez-vous l'impression d'en avoir bénéficié ? Netflix ou AmazonPrime Video prennent-ils plus d'encarts dans vos revues aujourd'hui qu'à leurs débuts en France ?
E.S. : Je n'ai pas l'impression que de manière générale les plateformes achètent beaucoup d'espaces dans les revues de cinéma...
C.V. : Même si Positif ne s'est jamais vraiment reposé sur la publicité, je dois bien dire que nous n'avons absolument jamais été sollicités par une plateforme pour de l'achat d'espace. Consacrer des pages à des films Netflix ou AmazonPrimeVidéo a toujours été notre décision, ils ne nous ont jamais approché ni démarchés.
B.D. : Je ne peux pas répondre en termes de chiffres mais sur la manière dont on travaille avec leurs services pub. Ils ont parfois des demandes qui montrent qu'ils ne savent pas du tout ce qu'est un magazine culturel ou la critique de cinéma. Netflix a fait une demande de partenariat sur Mank, pour lequel ils souhaitaient la publication d'un feuillet publicitaire éditorialisé qui soit intégré de manière indifférenciée des autres pages. C'est évidemment impensable. Soit ils achètent de la pub et c'est clairement indiqué, soit on fait de l'éditorial en gardant totalement la main sur le contenu. J'ai l'impression que leurs communicants - hors attachés de presse - n'ont aucune idée de l'approche de la critique française. Et cela se confirme quand les retours des plateformes ne concernent jamais ou presque le contenu des articles mais uniquement l'aspect visuel des photos ou des couvertures, soit un interêt plus cosmétique qu'autre chose.
E.S. : L'un des rares retours concerne la continuité du travail avec eux : si notre rédactionnel ne leur convenait pas, peut être que nous n’aurions pas les opportunités que nous avons aujourd’hui. Et ils seraient sans doute intraitables là-dessus, parce qu'il y a très peu de titres dont ils ont vraiment besoin. Maintenant, quand tu discutes avec les attachés de presse, de plateformes comme de majors côté salles, il est clair que la France est le dernier bastion critique. Et quoiqu'on en en pense, ils se battent clairement pour qu'on ait encore cette liberté. Par rapport à d'autres pays, on est parfois considérés comme des OVNIs quand on demande à voir un film avant de faire une interview...
Parlons du contenu de ces plateformes. À en croire Netflix, l'un de leurs plus gros succès d'audience de cette année est Miracle in cell 7, un mélo turc, lui-même remake d'un film sud-coréen disponible sur Outbuster. Or, ni l'un ni l'autre n'ont eu, ou très peu, d'échos dans la presse cinéma. Il s'avère par ailleurs que ces plateformes commencent à acheter ou produire des films issus de cinématographies étrangères et/ou s’inscrivant dans des registres, notamment le cinéma de genre, qui peinent à trouver de la place dans les salles françaises. Craignez-vous qu'à terme, une cinéphilie qui aurait échappé à la presse cinéma généraliste puisse en naître ?
E.S : Là encore, c'est une question de communication de leur part. Mais y compris en interne : lorsque Netflix met en ligneSombre fortune d'Anurag Kashyap, mais qu'on le découvre par hasard, il s'avère que leurs attachés de presse français ne sont même pas au courant... À leur décharge, il est impossible pour Netflix ou AmazonPrime Video de communiquer sur l'incroyable masse de leurs sorties. Et après tout, on pourrait aussi bien se poser la question de certains choix de majors, comme Sony qui décide de sortir le film de Marielle Heller (NDLR : Un ami extraordinaire, avec Tom Hanks) en direct-to-dvd sans aucune communication... Et ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres : j'ai découvert en zappant sur le service VOD d'Orange que beaucoup de films américains que devaient sortir en salles les branches françaises de majors y étaient disponibles... Même s'il y a un effet grossissant, le procès à faire n'est pas uniquement celui des plateformes.
F.F. : À scroller sur ces plateformes, j'ai souvent le sentiment d'être devant la vitrine d'un vidéo-club de seconde zone. Cependant, c'est aussi là que l'on va trouver toute une production philippine, turc ou indienne qui a été et reste snobée par la critique française. Pour ceux-là, AmazonPrime video ou Netflix ont un réel intérêt, puisqu'aucun distributeur français ne prendrait aujourd'hui le risque financier de sortir, même quand ils sont de qualité, un blockbuster indien ou un film d'horreur turc. Mais oui, on en revient à ces problèmes de communication : on adorerait faire de longues interviews des réalisateurs tamouls ou philippins concernés, mais les demandes se heurtent systématiquement à un mur...
B.D. : Il faut par ailleurs rappeler la chance qu’on a en France de pouvoir voir en salles énormément de films étrangers qui ne sortent plus dans leurs propres pays... Pour revenir à la question, cette nouvelle orientation repose la question de ce qu'est la cinéphilie : est-ce qu'à force de consommation par un public adolescent des films de plateforme, cela va forger un regard sur les films et donc sur le monde ? À ce stade, j'ai plutôt le sentiment que le gros des films produits ou achetés par Netflix n'y pousse pas.
F.F. : J'ai une approche un peu réac vis-à-vis de ça : je suis convaincu que la très grande majorité des abonnés des plateformes se contrefoutent de la cinéphilie, et encore plus du nom des réalisateurs des films qu'ils engouffrent. Au mieux, ils les choisissent en fonction du buzz, plus ou moins organisé par Netflix ou AmazonPrime Video, qui les précèdent. Mon inquiétude est plus que les dogmes de production qu'ils imposent, et le carcan moral qui irait avec, devienne une norme. Si cela amène à des films produits en fonction de quotas ou d'inclusion, et donc à cette unique vision pour leur public, ce serait d'une tristesse infinie... Sans compter que la sur-proposition de films par ces plateformes est finalement très peu éditorialisée. J'ai donc du mal à croire qu'il puisse en émerger une cinéphilie décloisonnée, géographiquement ou moralement.
C.V. : Je suis moins pessimiste : tout n'est qu'une question de temps. La cinéphilie a toujours été quelque chose de minoritaire et elle ne se fait pas du jour au lendemain. Le phénomène de curiosité, de bouche à oreille finira sans doute par créer quelque chose de cet ordre auprès des spectateurs des plateformes... Ce n'est pas le cas aujourd'hui, parce que l'offre est trop anarchique.
B.D. : Pour ce qui est de l'approche critique, de toutes façons, notre travail est en train de muter : il ne s'agit plus seulement de regarder et analyser des films, mais aussi de passer énormément de temps à fouiner, creuser dans les centaines d'e-mails qu'envoient les attachés de presse, et également d'évaluer le défrichage à faire parmi la masse de films qui sortent de nulle part sur les plateformes. Je crois me souvenir que LesInrocksont parlé de Miracle in cell 7... mais en réaction à un communiqué de Netflix, célébrant son succès chez eux...
Dans quelle mesure la presse cinéma, voire la presse dans son ensemble, n'a-t-elle pas justement participé au storytelling des plateformes en faisant, avec de très nombreux articles faisant de l'arrivée de cinéma de patrimoine (via notamment les films de François Truffaut) sur Netflix, un événement alors que les mêmes films étaient auparavant déjà disponibles sur d'autre plateformes ? N’était-ce pas une façon de grossir ce qui tient du business ordinaire : la vente temporaire par un ayant-droit de ces films à un diffuseur ?
B.D. :Pour moi, non. Même s'il y a un gros effet d'annonce, un, ça reste à mes yeux, une bonne nouvelle. Deux, il faut lire ce qu'il camoufle, à savoir la crainte de Netflix de l'arrivée, après Disney +, d'HBO Max (NDLR : plateforme de Warner) et Peacock (NDLR : Plateforme d'Universal), qui ont pour eux un atout énorme qui leur fait défaut : un catalogue de films qui leur est propre. Par ailleurs, si les articles parus ont amené une partie du public à regarder les Truffaut, mais aussi les Dolan ou les Demy, qui sont aussi inclus dans l'opération, cela pourrait faire grimper leurs chiffres d'audience. Et comme Netflix et les autres grosses plateformes ne raisonnent que par eux, cela pourrait les inciter à faire d'autres achats de films de patrimoine, voire de produire du cinéma d'auteur français. Evidemment, dans une certaine mesure, on a joué leur jeu, mais ça peut aller aussi dans le mien, puisque j'estime que mon travail de critique consiste a pousser les gens à voir ce cinema-là.
C.V. :Je partage cette idée : sans être dupe, ce n'est pas forcément quelque chose de négatif. Tout dépend de la manière dont on pourra utiliser à nos fins, l'outil que sont les plateformes.
F.F. :Il faut surtout voir ce qui va suivre. Pour le moment, à ma connaissance, aucun film de Fellini ou Kurosawa, entre autres ne sont visibles sur Netflix. Eux, comme Amazon Prime Video sont loin de devenir Criterion... Cette première percée est saluable, mais encore faut-il qu'elle se pérennise. Ce dont je ne suis pas certain, quand d'autres films de patrimoine, certes un peu plus obscurs pour le grand public, sont disponibles chez eux depuis des mois et des mois, mais enfouis dans les limbes de leurs sous-sections...
Comment envisagez-vous l'arrivée, dans les mois à venir, d'autres possibles géants, comme HBO Max ou Peacock, sans compter l'ouverture récente de Salto ? Dans quelle mesure la presse cinéma ne sera-t-elle pas encore plus débordée par une offre déjà particulièrement massive ?
F.F. :C'est déjà le cas. Mais peut-être que cela poussera certaines revues à avoir un faisceau plus resserré. Aucune, de toutes façons, ne peut plus prétendre à l'exhaustivité. Mais il va sans doute falloir encore plus y renoncer, et revoir jusqu’au traitement de l'actualité des sorties.
B.D. : Les lignes éditoriales vont bouger, faire des choix plus drastiques. Et peut-être plus dans la prescription, en ne perdant plus de temps à écrire des articles sur des comédies françaises médiocres qui sortent en salles, pour mettre en avant des films de plateformes... Mais aussi pour prendre en considération les choix que vont devoir faire les spectateurs qui ne pourront sans doute pas se permettre d'avoir cinq ou six abonnements différents en plus d'une carte Pathé ou UGC Illimité. L'arrivée de ces nouvelles plateformes va multiplier l'offre, mais pragmatiquement réduire son accès. Ce qui me dérange profondément...
E.S. :Cette question de l'accès est ambigüe : quand on fait un gros dossier sur Ryoo-Seung Wan à propos de Battleship Island, le film a beau sortir au cinéma, ce n'est que sur une copie-Paris et deux en province. On trouvait pourtant nécéssaire de le défendre, le mettre particulièrement en avant, justement pour lui donner le minimum de visibilité qu'il méritait...
B.D. :...Tu as raison, je voulais juste pointer du doigt le fait que l'inégalité de visibilité des films en salles a tout pour se reproduire avec les plateformes SVOD, mais pour des raisons de portefeuilles... Il ne faut pas négliger non plus l'impact qu'a eu le premier confinement : il m'a poussé à plus surveiller les plateformes indépendantes, à avoir des contacts bien plus réguliers avec elles. Ça a profondément modifié ma manière de travailler : même quand les salles ont rouvertes en juin, il est devenu normal de traiter leurs films, de les inclure plus pleinement dans le cahier cinéma. Je pense que cela va perdurer quand l'écosystème sera revenu à la normale.
Cet écosysteme va inclure les négociations en cours, comme celles sur la directive SMA ou autour de la chronologie des médias. Les accords avec les plateformes pourraient mener à des changements, que ce soit l'accès de leurs films aux salles ou une production française intensifiée, et donc faire exploser une offre déjà pléthorique. En quoi est-ce que cela pourrait changer vos lignes éditoriales ou simplement votre charge de travail ?
E.S. :À titre personnel, entre le lancement du magazine et aujourd'hui, on travaille deux fois plus pour le même nombre de pages. Le temps de défrichage en amont s'est démultiplié. La question de la périodicité n'est pour le coup pas un petit sujet, que ce soit dans le rapport avec les distributeurs salles ou les plateformes. Les premiers appliquent des embargos qui sont contraignants et, de ce que j'ai cru comprendre, les secondes travaillent de moins en moins avec les mensuels : leurs maisons-mères ne les voient pas comme des priorités, presque comme des anomalies. Même si, encore une fois, les attachés de presse français se battent pour ces mensuels.
B.D. :Quand je suis entré aux Inrocks, mon travail consistait à établir un calendrier de projections et écrire des textes. Aujourd'hui je suis devenu une sorte de plateforme organisationnelle à moi tout seul, entre ce défrichage, l'envoi de pigistes en projection ou la distribution des screeners, j'ai désormais beaucoup moins de temps pour écrire ou voir des films, alors que ça devrait être l'essentiel de mon métier.
Propos recueillis
le 13 novembre 2020
par Alex Masson.