«Je crains davantage de me faire licencier à cause de mon âge que de mon genre.»
Entretien avec Caroline Vié
Pour continuer notre série sur les femmes critiques, nous avons demandé à Caroline Vié, journaliste à 20 minutes, comment le fait d’être une femme changeait son rapport à son métier. Ou pas. Elle nous a répondu avec son franc parler habituel.
Comment êtes-vous entrée dans le métier de critique ?
J’ai commencé à écrire sur le cinéma vers 18 ans, dans des fanzines qu’on éditait et vendait nous-mêmes. J’écrivais surtout sur le cinéma fantastique et je suis entrée à L’Écran Fantastique, le magazine d’Alain Schlockoff. C’était un milieu particulièrement masculin, j’étais la Schtroumpfette de la rédaction. Dans la profession il y avait ceux qui en voulaient plus à mes fesses qu’à mon intellect ou ceux qui ne supportaient pas le fait qu’il y ait des femmes dans le métier. Mais très sincèrement, je n’ai pas souffert de ça. En revanche certaines personnes faisaient courir des bruits sur ma vie privée, selon lesquels je cherchais surtout à coucher avec des acteurs, ce qui était évidemment totalement faux. Je n’ai pas été prise au sérieux au début à cause de ces médisances. Mais c’était plutôt de la jalousie. C’était une autre époque, il y avait peu de femmes dans les rédactions de journaux de cinéma. Beaucoup de progrès ont été fait depuis, davantage de femmes s’intéressent au cinéma de genre. Après j’ai intégré la rédaction de Travelling, où j’étais encore la seule femme, à l’exception de la petite amie du rédacteur en chef, puis je suis partie à Ciné News, où il y avait une seule femme, Hélène Merrick. Peut-être qu’il m’a été plus facile de continuer dans ce domaine parce que je me suis toujours intéressée à ce cinéma dit “de mecs”, et que nous n’étions pas nombreuses. Ce n’était pas un calcul, je détestais les comédies romantiques. D’ailleurs personne ne m’a jamais imposé d’écrire sur un type de film parce que j’étais une femme.
Jamais le fait d'être une femme a été un frein pour vous ?
Non je ne crois pas. A postériori, je pense que je m’en suis bien tirée. Je n’ai jamais souffert de sexisme dans mon métier. J’ai rencontré des cons, mais ils étaient cons avec les femmes comme avec les hommes. Je travaille à 20 minutes depuis sa création en 2002 et tout se passe très bien. Je suis la seule à travailler sur le cinéma, mais il y a énormément de femmes dans le journal. Je n’ai jamais eu de problème de salaire parce que j’étais une femme. Et en cas de licenciements, ce ne sont pas les femmes qui partiraient les premières. Aujourd’hui, je crains davantage de me faire licencier à cause de mon âge que de mon genre. Peut-être aussi m’en suis-je bien tirée parce que je ne travaillais pas dans des grands journaux intellos, spécialisés en cinéma, qui sont souvent tenus par des hommes. J’ai toujours écrit pour des journaux populaires sur des gens populaires et j’en suis très fière.
Une femme a-t-elle un regard critique différent de celui d’un homme ?
En tant que personne j’ai un regard différent de mes confrères, mais je ne crois pas du tout avoir un regard différent de celui d’un homme. Il y a davantage de cinéastes femmes qui peuvent s’exprimer, la diversité est bonne en toute chose. Mais est-ce que leur regard de réalisatrices est différent parce qu’elles sont des femmes ou simplement en tant qu’artistes ? C’est une question très intéressante à laquelle je ne saurais répondre. Sans doute un peu des deux. Je trouve la théorie du “male gaze” intéressante, mais elle me laisse pensive. Je ne crois pas du tout au cinéma de fille et au cinéma de garçon, le cinéma ne doit pas être genré. Par exemple je défends depuis des années le cinéma d’animation qui pour moi n’est pas un cinéma pour enfants mais pour tous.
Avez-vous observé ces dernières années dans la diversité des genres, des âges, des classes sociales, au sein de la profession de critique de cinéma ?
Les femmes journalistes sont de plus en plus nombreuses. Je vois de plus en plus de jeunes femmes compétentes qui ne se posent pas ce type de questions. Je trouve ça formidable et je leur souhaite d’avoir une carrière aussi chouette que la mienne. Ça évolue bien, à force de bagarres. Ce qui m’inquiète ce sont les inégalités de salaire, la difficulté pour une réalisatrice de faire un film à gros budget. J’ai une fille de 13 ans et je veux qu’elle ait les mêmes droits qu’un homme. Je ne suis pas pour autant en faveur des discriminations positives. Je trouve les quotas contreproductifs, en matière de choix des films par exemple.
Avez-vous dû beaucoup vous battre ?
Oui. Mais pas parce que je suis une femme, simplement parce que c’est un métier difficile, très concurrentiel. C’est la guerre permanente. Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Je n’ai jamais pensé qu’on voulait me prendre ma place parce que j’étais une femme mais parce que mon métier est formidable. Il a toujours fallu se bagarrer, travailler beaucoup, tout le temps. Les hommes du métier ont les mêmes soucis. Notre métier ne va pas en s’améliorant, l’espace d’expression diminue. Il faut se diversifier, faire de la vidéo, se “youtubiser”. Si le ridicule tuait, il y a longtemps que ma fille serait orpheline ! On s’adapte à ce métier en complète métamorphose, dont on ne sait même pas s’il va continuer à exister. C’est le métier qui ne va pas bien, pas nous !
Propos recueillis par
Valérie Ganne