PROFESSION PIGISTE (2/2)

Statut du pigiste

Travailler comme pigiste est donc devenu une bataille permanente. Mais il existe des armes juridiques pour se défendre. Jacques Zimmer vous livre les principales.


En 1980, dans le dossier de presse du Guignolo, Jean-Paul Belmondo disait à propos des critiques : “Ils voient les films avant tout le monde, tutoient, tapent sur le bide et bouffent avec ceux qui font le cinéma.” Autre citation, anecdotique mais authentique, celle de cette chef comptable à qui je reprochais de ne pas avoir réglé les piges du numéro précédent : “Oh ! Vos artistes, ils peuvent bien attendre un peu !” Ces deux affirmations, l’une empreinte d’une démagogie rance et méprisante, l’autre d’une naïveté coutumière, témoignent des stéréotypes s’attachant à la critique de cinéma, considérée comme bohême voire économiquement parasitaire.

Pourtant, disons le tout net : elle n’a jamais enrichi personne, mis à part quelques “glorieuses exceptions”. Si on peut, à ces prestigieux confrères, ajouter plus communément quelques fils de familles aisées on y trouvera surtout, à l’opposé, beaucoup de moines soldats ayant choisi, comme le personnage de Nous nous sommes tant aimés, une vie très modeste voire aux confins de la gêne permanente pour assouvir leur passion : le cinoche. Ces cas fort heureusement limites, nous en avons connus terminant leur vie dans la misère absolue en vendant leurs précieuses archives et qui furent pourtant, dans ce modeste réseau, célèbres en leur temps.

Pour la majorité d’entre eux, le quotidien passe par les inévitables travaux annexes (dossiers de presse, suppléments DVD,  présentations de films) comme autant d’épines à leur indépendance, comme autant de connivences potentielles.

Reste que la catégorie la plus représentée est celle de l’exercice critique en marge, ou plutôt en plus d’une profession stable. Ce que démontrèrent toutes les études statistiques entreprises dont celle pour La Critique de cinéma en France. Michel Ciment, y répondant pour Positif, énuméra plaisamment : “Étudiants, enseignants, bibliothécaires, statisticien, contrôleur des impôts, lecteur de scénarios.” Et tous le confirment : les enseignants y tiennent la corde.

Ce caractère hétéroclite est à la fois une force et une faiblesse. Une force qui permet la survie de bien des supports basés sur le bénévolat ainsi qu’une diversité d’origines et de formations assurant une pluralité cimentée par l’engagement.

Mais aussi une faiblesse, chacun de ces rédacteurs pour qui la critique n’est qu’un hobby ou un métier d’appoint sera parfois plus indifférent aux atteintes au droit du travail des journalistes.

Et ce alors que ces derniers bénéficient d’une protection (unique au monde !) largement supérieure à celles de la majorité des autres catégories professionnelles mais conforme au statut de “quatrième pouvoir”.

Des résultats obtenus au fil du temps, pour une part en raison d’une réelle précarité, pour une autre grâce à l’action persévérante des syndicats de journalistes, et pour un “gros tiers” (comme dirait le César de Pagnol) d’amicales mais néanmoins efficaces connivences avec tous les pouvoirs successifs.

Ces droits qui sont ceux des journalistes, pigistes ou non, et qu’il convient de rappeler tant ils font l’objet d’attaques ou de contournements insidieux de la part des employeurs et de méconnaissance de notre part.



1. LE PIGISTE EST UN SALARIÉ

Barème  des piges

En date du 6 mai 2015 fut adopté par plusieurs syndicats de journalistes un montant minimal de pige (susceptible de réévaluations équivalentes à celles du minima des journalistes mensualisés) : 53,46 € pour un feuillet (1 500 signes).

Le pigiste est un salarié

D’un très ancien conflit et de sa récente résolution découlent la plupart des paragraphes suivants.

Longtemps considéré comme collaborateur indépendant lié à l’employeur par un contrat de “louage et d’entreprise”, le journaliste indépendant est passé du statut flou de “payé à la pige” à celui de salarié “présumé”, désormais reconnu.

C’est la loi dite “Cressard” qui, en 1974 affirma que toute rémunération QUELQUE SOIT SON MONTANT ET SA QUALIFICATION  est présumée “contrat de travail”. Ce qui n’empêcha pas, trente ans plus tard la DRH d’un important groupe de presse de répondre à un pigiste victime d’un licenciement économique : “Pour les pigistes, il n’y a rien de prévu”.

Si, chère madame:

Outre une lettre personnalisée et une entrevue obligatoire avec vous-même,

– l’indemnité de licenciement

– l’indemnité de journaliste

– un solde de tous comptes et les documents Assedic (voir paragraphe 3)

Annexes

– Extrait d’un jugement (8/12/2009) concernant une de nos adhérentes défendue par notre avocat :

Pour avoir exercé en qualité de rédactrice rémunérée à la pige, […] rappelle que la pige n’est pas un statut contractuel, mais un mode de rémunération du journaliste […] condamne la société XX (etc., etc.)

– Être sous la responsabilité d’un rédacteur en chef ou d’un chef de rubrique ou l’existence d’une commande écrite  établit le "lien de subordination” essentiel comme preuve à tout ce qui précède.

– Contrairement à la prime d’ancienneté, le treizième mois (éventuel et de conditions variables suivant l’entreprise) peut échapper aux obligations précitées.

– Doit être refusée toute tentative de l’employeur de vous imposer un statut d’auto-entrepreneur comme de vous payer en droits d’auteurs, lesquels vous priveraient de vos droits tout courts !

Conclusion : Même sans contrat de travail, toute assertion de l’employeur sur un statut particulier de pigiste est un mensonge éhonté.



2. LA PLACARDISATION DOUCEREUSE

Se séparer d’un collaborateur à moindre frais peut se préparer à l’avance par la “placardisation hypocrite” dans la mesure où le calcul de l’indemnité de licenciement s’effectue sur la moyenne des salaires des 12 ou 24 derniers mois.

Conclusion : toute suppression (ou attribution à d’autres) d’une rubrique régulière comme tout affaiblissement sensible de vos commandes d’articles doit déclencher sans attendre une réaction de votre part.


3. LA PROCÉDURE DE LICENCIEMENT

Comme déjà précisé (voir 1 et 2) un licenciement personnel ou collectif ouvre des droits inaliénables. Dans le premier cas, les raisons doivent vous être signifiées clairement et par écrit. Ne signez aucun accord sans avoir vérifié (ou fait vérifier) que tous vos droits sont précisés. Dans le second cas, (licenciement collectif) résistez aux (éventuels mais classiques) appels à partager la tristesse de la fin d’une “belle aventure”, voire des éventualités de reconversion ayant pour contrepartie l’abandon de tout ou partie de vos droits. Vous serez parfois isolé(e) au sein d’un collectif fataliste ou sensible à des promesses qui n’engagent que ceux qui les font.

Essentiel : les chiffres à retenir

Indemnité de licenciement des journalistes : un mois de salaire par année (ou fraction d’année) d’ancienneté plafonnées à 15 ans et calculées sur la base des 12 ou 24 derniers mois (le chiffre retenu restant le plus élevé).

Au-delà de 15 ans, la fixation de l’indemnité dépendra de la commission arbitrale.

Conclusion : entrer en conflit avec un employeur puissant via une procédure aux Prud’hommes est une tâche solitaire, de longue haleine, à l’issue parfois incertaine.


4. CLAUSES DE CONSCIENCE ET DE CESSION

Bien que leur but soit identique (permettre à un journaliste de quitter à son initiative une entreprise de presse tout en bénéficiant des dispositions d’un licenciement) elles ne sont pas de même inspiration.

  • La première (“clause de conscience”), votée en 1935, évoque, comme motifs pour le journaliste, un “changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal ou périodique […] de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation […] à ses intérêts moraux”.

Une simple lettre recommandée suffit au demandeur.

Le respect de cette clause impose à l’employeur le versement de toutes les indemnités afférentes à un licenciement.

  • La seconde entre en vigueur lors de la cession d’un titre et après information (obligatoire) des salariés sur les nouveaux dirigeants et les délais pendant lesquels elle peut être invoquée.
  • En cas de litige (plus fréquent pour celle de “conscience” que pour celle de “cession”), le différend est porté devant la commission arbitrale, voire, en dernier recours devant les prud’hommes.

Conclusion : des recours existent pour préserver votre liberté et votre intégrité, voire faciliter une reconversion.


5. RUPTURE CONVENTIONNELLE

Réservée à titre individuel aux salariés en CDI, cette disposition vient d’être étendue à une formule collective qui semble remporter un vif succès.

Séduisante a priori, elle permet “en même temps” d’éviter au salarié l’inconvénient de la démission (pouvant entraîner la perte de droits au chômage) et à l’employeur la lourdeur du licenciement. Le tout correctement encadré pour le respect des droits du salarié. Mais, comme il s’agit d’un accord de gré à gré, elle renforce une position patronale bien armée en arguments paternalistes, administratifs et financiers face à des salariés parfois mal informés.

Conclusion

  • La quasi-totalité des paragraphes précédents comporte l’obligation pour l’employeur d’un entretien préalable au cours duquel vous pouvez être assisté par une personne de votre choix. N’hésitez pas à faire appel à nous si vous ne disposez pas d’un conseiller syndical “maison”.
  • Ne démissionnez jamais.

  • N’acceptez jamais une proposition orale avant qu’elle ne vous soit confirmée en détail et par écrit.

  • Et considérez que nous sommes à votre disposition dans tous les cas.

PRÉSENCE DU SYNDICAT

Depuis plusieurs années, Le Syndicat Français de la critique propose à ses adhérents (à jour de deux années de cotisation) un modeste service d’assistance juridique.

Fonctionnement :

Pour tout renseignement complémentaire, pour toute prise en charge d’un problème vous concernant, prenez contact avec le bureau du Syndicat.

Celui-ci vous communiquera les coordonnées d’un membre du Conseil d’administration qui vous informera sur vos droits et vous conseillera sur les procédures à respecter.

Si votre cas nécessite l’avis ou l’intervention de notre avocat, il vous dirigera vers lui.

Cette première entrevue avec un spécialiste des droits du travail qui connaît bien nos spécificités est entièrement à la charge du syndicat. Vous restez libre de lui confier, cette fois à titre personnel, d’éventuelles suites à donner.

 Photo rédacteurs Lettre (2)  Jacques Zimmer