Les festivals « online »
Entretien avec Sophie Dulac
Cinéma du réel, Cinélatino, Fête du court-métrage, Visions du réel… : de nombreux festivals, empêchés par le confinement et les mesures sanitaires, ont choisi d’organiser en ligne leur édition 2020. Pourquoi un festival numérique, avec des spectateurs à la maison ?
Sophie Dulac est la présidente et fondatrice de Champs-Élysées Film Festival :
Vous aviez pensé annuler le festival ?
Je m'étais faite à l'idée qu'il ne pourrait y avoir de festival, mais finalement, c'est une très bonne idée de le maintenir quand même. Il est de notre devoir d'entretenir la culture et c’est absolument essentiel qu’elle puisse exister fortement dans la vie des gens.
Dans quelles circonstances avez-vous renoncé à une édition normale du festival ?
Au mois de mars, quand nous avons été confinés, je pensais que nous aurions le temps d'organiser le festival comme d'habitude. Notre festival avait lieu au mois de juin, soit trois mois plus tard. Mais au vu de la situation, de l'évolution de l'épidémie, de l'annulation de plusieurs festivals, nous avons fini par prendre la décision de le faire en ligne. Cette décision a été prise fin avril.
Qu’est-ce qui a été moteur dans le choix d’une édition en ligne ?
Il était vraiment dommage d'avoir travaillé de longues semaines et de ne rien faire. Comme nous n'avions aucune date de déconfinement, ni de date pour la réouverture des salles, nous avons fait le double choix de l'organiser en ligne et gratuitement, en se disant que c'était l'occasion que la France entière découvre ce festival qui n'a que neuf ans d'existence et qui reste assez parisien.
Il s’agit de faire de cet empêchement de la tenue d’un festival physique, une opportunité ?
Cela peut paraître comme une opportunité parce que je n'avais pas du tout l'intention, au départ, de faire quoi que ce soit en ligne ; ce n'est pas mon monde, ce n'est pas ma génération, mais en revanche c’est celle de mes collaborateurs. Mais cela va d’abord permettre de voir des films qui ne sortiront pas forcément en salles, notamment des films américains, parce qu'ils n'ont pas de distributeurs.
De quelle manière l’édition en ligne a contraint la programmation ?
Nous avons dû renoncer à certains films que les ayants-droits n’ont pas souhaité voir diffuser en ligne. Mais cela ne concerne que peu de films. Pour d'autres, qui vont sortir en salles, il a fallu accepter qu'il y ait un nombre de visionnages en ligne maximum. Mais nous avons pu conserver la compétition française et américaine des longs-métrages, des courts-métrages, ainsi que le film d'ouverture, des showcases musicaux et nos master classes avec Stephen Frears et Edgar Wright, qui ont été faciles à convaincre.
Le festival en ligne peut-il garder sa forme de festival ?
Un festival en ligne est forcément moins festif : on ne va pas se faire un apéro par Zoom tous les soirs ! C'est moins convivial, les gens l'ont bien compris, mais je suis frappée à quel point les internautes sont enthousiastes : nous avons eu très vite des milliers d'inscriptions. Malgré ce format inhabituel, il y a une attente. Il y aura du monde au rendez-vous et même s’il n’en aura pas l'ambiance, c'est quand même un vrai festival.
Un festival en ligne peut nourrir les mêmes ambitions qu’un festival réel ?
Il est difficile d'avoir les mêmes ambitions en termes de fréquentation, car nous attirons 25000 personnes tous les ans sur les Champs-Élysées. Mais ce n'est pas une question d'ambition qu’il faut avoir : il s'agit d’abord de continuer à proposer une programmation solide, qui nous tienne à cœur, avant de célébrer la 10e édition. Même s'il n'y avait que dix personnes connectées, ce serait une satisfaction de faire découvrir ce festival et de donner l'envie aux spectateurs d'y venir.
En faisant ce choix d’une édition en ligne, vous apprenez quelque chose ?
Je me demande s'il ne faudrait pas, l'année prochaine, reprogrammer le festival sur les plateformes en ligne, pour tous ceux qui ne l'ont pas vu. Même si voir un film sur un écran chez soi n'a pas la même importance que dans une salle de cinéma, il n’est pas inintéressant de continuer parallèlement à faire exister le festival en ligne.
Cette crise que nous traversons change la vision que l’on a de l’offre de films en digital ?
Il y a tellement de gens connectés sur les plateformes que l’on ne peut pas les ignorer. Il sort environ 750 films par an sur les écrans, des films n'ont pas le temps d'être vus, donc peut-être que nous avons une réflexion à mener sur leur découverte possible en digital. Encore une fois, la salle de cinéma doit rester au premier plan, elle est indispensable, elle est fondamentale, mais le digital élargit la diffusion des films.
www.champselyseesfilmfestival.com
© Portrait : Dao Bacon
©Affiche : Alain Bourdon
Propos recueillis par Nathalie Chifflet