Une revue dans la crise

Entretien avec Thomas Aïdan

Thomas Aïdan, rédacteur en chef, raconte la traversée de la crise par La Septième Obsession. La revue a sorti le 22 mai, en kiosques, un numéro spécial consacré à Hayao Miyazaki.

 Septième

« Nous avons évidemment été bousculés par l'absence de sorties de films au cinéma, par le report de certains films ou leur diffusion directement en VOD. Pour autant, nous avons continué à préparer ce numéro, sans que la crise ne modifie ce sur quoi nous travaillions : nous nous sommes depuis longtemps affranchis de la stricte actualité du cinéma. »

« La Septième Obsession ne se construit pas seulement autour des sorties : une revue de cinéma ne peut se résumer à une somme de critiques de films, dans une logique de calendrier connu longtemps à l’avance. Il s'agit de créer du désir chez le lecteur et pour créer ce désir, il faut créer de l'étonnement, sortir du cadre. Nous avons la chance d'avoir un lectorat - massivement jeune - prêt à être dérangé énormément. »

« Nos dossiers sont préparés très en amont de la parution, d’autres sujets sont montés dans un temps très court. À La Septième Obsession, nous gardons l’œil ouvert en permanence, nous sommes dans une constante adaptation, toujours à l'affût. Il faut, à tout moment, se tenir prêt à bouleverser nos plans. Les bouclages, relativement brefs, nous offrent de la souplesse et permettent de garder une fenêtre ouverte pour compléter notre sommaire en dernière minute. »

« Nous avons tenu à sortir un numéro pendant cette période de déconfinement : cela nous a semblé important de rester actifs, de montrer que la presse peut aussi faire l’actualité du cinéma, ouvrir la réflexion. Nous avons eu envie de proposer quelque chose de beau et de poétique avec ce numéro spécial Miyazaki, qui visite en une soixantaine de pages son œuvre, avec des nombreux documents, dessins et croquis. »

« L’œuvre de Miyazaki est idéale pour répondre à une telle crise : ses films sont des œuvres politiques, poétiques et humanistes. Ils sont une manière de répondre à ce que nous avons vécu. Il y a chez Miyazaki une conscience de la gravité du monde et aussi l’espoir que ce monde peut changer, que les choses peuvent évoluer. Il nous propose à la fois des récits d'apprentissage, des collections d’expériences et de vie, qui nous permettent d'aller vers le mieux. Avec ce dossier Miyazaki, nous sommes à la fois hors actualité et pleinement dedans. »

« Ce projet de faire quelque chose sur l’œuvre de Miyazaki était en germe depuis quelques mois. Nous avions publié un numéro sur l'écologie en janvier et nous pensions que cela prolongerait notre réflexion sur le rapport à la nature et au monde, il nous a semblé que c’était le bon moment pour le faire. Ce choix qui s’était imposé il y a quelques mois a été conforté par le choc que nous avons connu. Il est important de le faire maintenant, non pas parce que c’est dans l'air du temps, mais parce que c’est nécessaire : nous sommes dans une démarche honnête et sensible. »

« Nous avons traversé cette crise dans une profonde incertitude, en raison de la crise du distributeur Presstalis, qui a déposé le bilan en avril. Cette autre crise a des effets encore plus importants que la crise sanitaire. Cela questionne énormément sur la notion d’indépendance - si chère à nos yeux - et qui est conspuée de nos jours, avec des milliardaires (dont la plupart sont des administrateurs de Presstalis, avec les quotidiens nationaux dont ils sont les propriétaires) qui rachètent la presse et qui n’y connaissent strictement rien. Il faut retrouver absolument une critique libre et indépendante des pouvoirs, financée autrement, et qui ne sert pas les intérêts de gens mal intentionnés. »

« Cette crise nous a demandé de nous battre, de réaffirmer nos convictions. Nous avons quitté Presstalis, pour MLP, son concurrent, dans l’urgence, pour dire non à ces incompétents qui voulaient nous faire payer leur mauvaise gestion, d’une société qui aurait dû partir en dépôt de bilan il y a déjà bien longtemps. Nous avons dit NON, et il faut apprendre aujourd’hui à refuser, à avoir du courage, à ne pas se laisser faire, à arrêter de dire l’inverse de ce que l’on a dit la semaine dernière. Que nos corps deviennent politiques, et que l’on cesse d’être aussi conciliants. »

« Nous essayons d'anticiper notre plan de trésorerie pour les prochains mois, mais il était urgent pour nous de repartir avec les MLP pour garantir nos flux financiers. Nous étions au cœur d'une crise et nous avons essayé de nous en sortir le mieux possible. »

© Studios Ghibli

Nathalie Chifflet

Propos recueillis par Nathalie Chifflet