CHRISTOPHE HONORÉ

Cinéaste (France)

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À quel moment en tant que cinéaste peut-on s’estimer être aidé ? Et a-t-on au final tant besoin qu’on nous aide ? Personnellement, je crois que j’ai surtout besoin qu’on me laisse tranquille. Je n’attends ni n’espère aucune aide, juste un peu de temps, un peu d’argent, un peu de confiance. Ce qui ne signifie pas que je me sente suffisant pour être cinéaste, mais plutôt qu’à mes yeux, être cinéaste c’est faire avant tout sans personne. Et qu’importe si pour cela je dois être entouré d’une équipe parfois nombreuse. Faire sans personne, c’est savoir au fond de soi qu’il faut se tenir à l’écart, dans une discipline de haute solitude, sinon aucun plan jamais ne peut advenir. Aucun plan dont je puisse prétendre qu’il m’appartienne. Faire sans personne, c’est se répéter sans cesse, comme un échec, comme un aveu, qu’il n’y a pas d’autre chemin pour accéder à un peu de vérité, un peu de beauté, que l’isolement, la confrontation désolante avec mes seuls moyens. Rien n’aide vraiment à faire de cette solitude-là, permanente et tenace, un état non stérile, pas plus la critique qu’autre chose. Non, la critique ne m’aide pas à faire des films, elle n’a pas plus de poids sur moi qu’un bon repas à la cantine les jours de plateau. C’est-à-dire qu’elle peut influer sur mon humeur, me faire grogner ou sourire le temps d’un instant, mais dès que le travail reprend vraiment, la digestion passée, il ne reste pas grand-chose de cette humeur dans les plans que je fabrique. Ce n’est pas avec elle que ça se passe. Jamais.

La critique en revanche m’a permis de désirer le cinéma. De le désirer avec une telle force, un tel aveuglement aussi, qu’elle a fini par me faire croire que j’allais devenir cinéaste. Oui, c’est certainement plus encore en étant lecteur de critiques, qu’en étant spectateur de films, que s’est cristallisée durant mon adolescence l’éventualité de faire ça de ma vie, cinéaste, que je ne pouvais rêver à mieux. Peut-être à la manière dont le catéchisme peut faire croire en dieu à certains enfants. Je ne connaissais rien du cinéma, je pouvais à peine voir des films dans le village où j’habitais, mais tout ce que j’ai pu voir ces années-là, je l’ai vu en lisant des heures durant des critiques. Tant que j’ai contracté des amitiés imaginaires, et que j’ai cédé à l’illusion d’appartenir à une compagnie, à une bande qui vivait loin, à Paris, mais dont ma chambre du lotissement des Espaces Verts devenait par magie le prolongement du bout de trottoir parisien où cette bande échangeait des idées, s’échauffait et me charmait. Je me souviens encore de certains articles de Lefort, de Séguret, d’Azoury dans Libération, de certains textes de Le Roux, de Jousse, de Lalanne dans les Cahiersdu Cinéma. Je me souviens des livres de Daney, de Bergala, de Bazin. Une invasion de mots, de concepts, de condamnations, de bénédictions. J’ai trempé dans ce bain-là, et j’y ai flotté, et cela m’a porté, aidé, presque d’une manière plus sensuelle qu’intellectuelle. Arrivé à Paris, j’ai tenté un peu d’écrire à mon tour sur le cinéma, mais étrangement jamais vraiment en tant que critique. Jamais en intégrant un comité de rédaction. J’ai écrit mais c’était toujours depuis ma chambre du lotissement des Espaces Verts, j’ai écrit de loin, avec timidité et mesquinerie, sans oser prendre part à la conversation générale.

Christophe Honoré