VINCENT MARAVAL
Cofondateur de la société de distribution et de ventes internationales Wild Bunch (France)
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« Il y a quelques mois j'ai été invité dans une émission de télé où l'on m'a demandé si la critique était utile. Ma réponse n'a pas changé : non. Et ça n'est pas forcément négatif. Je trouve formidable que l'on puisse analyser et disséquer des films, mais je ne comprends pas qu'on demande à la critique d'être utile. Je ne suis pas pour autant anti-critique : il y a tellement peu de choses inutiles, qu'il est bon de pouvoir leur accorder du temps.
J'adore trouver dans une critique, quelle qu'elle soit, un avis qui m'éclaire, qui me dit quelque chose que je n'avais pas vu ou que je n'avais pas réussi à formuler. Pour moi la critique ne doit pas avoir d'influence mais amener un point de vue, confronter son avis à d'autres. Je ne lis jamais la critique d'un film que je n'ai pas vu. Je le fais ensuite dans une envie de dialogue, mais en a-t-elle envie ? En tous les cas, elle ne sait plus parler à des communautés comme savent le faire de manière incroyable des plateformes comme Netflix. Ce qui mène à des films turcs vus par des millions de personnes sans que la critique en ait jamais dit un mot. Et même si ça avait été le cas, au mieux, cela aurait amené 2 ou 3 000 personnes dans une salle du Quartier Latin.
La critique a désormais le même problème que les festivals : pendant longtemps, ils nous aidaient à découvrir des films qu'on ne connaissait pas en amont. Aujourd'hui, si un film indonésien formidable apparaît, dans les trois jours qui suivent, un distributeur local m'appelle et me dis “Tu devrais le voir, je t'envoie un lien”. Des critiques ou des gens à la Pierre Rissient ; qui parcouraient le monde en aventuriers et dénichaient ces films, ça n'existe plus. Mais ce n'est pas un mal : je préfère qu'il y ait une démocratisation de la découverte, que les gens ne soient pas dépendants du goût de ceux qui leur en parlent, que ça devienne de l'assistanat. Je n'ai jamais autant pris de plaisir qu'en voyant un film dont je ne savais rien. Quand la critique en survend certains, on ne peut qu’être déçu à l'arrivée. Ou à l'inverse, on peut être plaisamment surpris par des films qu'elle aura détruits. Cette préconception, qui empêche d'être maître de son opinion devant l'oeuvre, me dérange.
Le public sait décrypter la critique, sentir quand elle a vraiment envie de défendre un film ou quand le trait est forcé, quand il n'y a pas de sincérité, qu'elle aime un cinéaste parce que c'est branché de l'aimer. Il est fascinant de voir les classements de fin d'année sur Allociné d'après les notes du public : généralement les quinze derniers listés sont les premiers des top des critiques et les quinze premiers des films qui ont été très peu identifiés. En fait c'est assez rassurant puisque ça s'écarte d'un côté mouton qui est ce qui me fait le plus peur dans mon milieu, où de plus en plus de gens n'osent plus penser par eux-mêmes, attendent l'avis des autres pour se faire une opinion. Donc, la critique n'aide pas à faire marcher les films, mais ce n'est de toutes façons pas son rôle.
Son rôle, ce devrait être d’amener des lecteurs à une autonomie d'esprit, accepter de dialoguer et non imposer un avis. Pour cela, la critique, à condition qu'elle soit déconnectée de l'industrie ne devrait pas avoir peur de soutenir des films et des cinéastes qui ne sont pas dans la bien-pensance. Je suis même convaincu que des émissions de télé ou des revues papier critiques restent à créer, pour pouvoir parler au jeune public, à qui finalement on ne propose rien, justement parce qu'aujourd'hui on étouffe d'entendre toujours le même discours, d'être poussées à aimer les mêmes choses, de se retrouver face à une grille de gens intouchables. J'adorerais (alors que je suis un des premiers à le défendre), une revue où on lirait : le dernier Godard c'est pas terrible MAIS il y a ce moment-ci ou celui-là qui est génial. D'ailleurs c'est peut-être lui qui a la bonne définition de la critique quand il dit qu'elle devrait être comme les comptes-rendus de foot dans L'Équipe, qui ont la liberté d'écrire que tel match n'a pas été folichon, mais qu'à la 23eme et à la 45eme minute il y a eu des actions extraordinaires, que là ça jouait super bien. Pourquoi la critique ne peut pas aller vers ça, et continue à s'enfermer dans la prison de la politique des auteurs ? »
Propos recueillis par Alex Masson